Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 14.djvu/35

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sans titre ni appointement de conseiller, il comptoit ôter toute difficulté, faire porter cette place sur sa charge, et mettre sa princerie à couvert. Ce projet lui réussit ; le régent le trouva bon, et le comte d’Évreux entra ainsi au conseil de guerre, et y demeura sus ce pied-là tant que ce conseil dura.

Coigny, colonel général des dragons, qui étoit bien éloigné des raisons qui avoient si longtemps combattu le comte d’Évreux en lui-même sur le conseil de guerre, avoit tenté tout ce qu’il avoit pu pour y entrer depuis qu’il étoit formé. Il étoit ancien lieutenant général. Nulle difficulté d’aucune sorte. Il étoit mal sur les papiers du régent, en cela plus malheureux que ceux qui le méritoient le plus. Il s’étoit insinué assez avant par la chasse avec M. le comte de Toulouse, du temps du roi ; il avoit été depuis de tous ses voyages de Rambouillet. La querelle des princes du sang et des bâtards excita des propos. Le duc de Mortemart, peu d’accord avec lui-même, en tint de forts contre les bâtards, en présence de Coigny. Celui-ci, qui y sentit le comte de Toulouse mêlé et désigné comme le duc du Maine, voulut faire entendre au duc de Mortemart que ses discours ne convenoient pas à sa proximité avec eux. Cela fut mal reçu, ils se querellèrent, et pour le faire court ils se battirent. Je ne sais qui l’emporta ; mais le duc n’eut rien, et Coigny en emporta une marque très visible sur le visage qui lui est demeurée toute sa vie, et dont on ne lui fait pas plaisir de lui parler. L’affaire fut étouffée avec grand soin pour sa cause, et Coigny fut quelque temps sans paroître pour se laisser guérir. Tout cela avoit persuadé le régent, et confirmé depuis, que Coigny étoit tout aux bâtards, et au duc du Maine autant qu’au comte de Toulouse. Ses refus réitérés résolurent Coigny à vendre sa charge qui faisoit toute son existence et toutes ses espérances qu’il voyoit évanouies ; il en traita. Ses amis qui par là le voyoient tomber dans un puits en retardèrent la conclusion, sa femme surtout qui avoit beaucoup