Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 14.djvu/36

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

de sens, de raison, de modestie, et qui vivoit fort retirée, et toute sa vie d’une grande vertu, quoiqu’elle eût été belle, et toujours dans une solide piété. L’entrée du comte d’Évreux dans le conseil de guerre lui fit perdre toute patience. Il voulut finir son marché, et s’en aller pour toujours en Normandie, où il avoit beaucoup de biens. À ce coup, personne ne put le retenir. C’étoit un homme au désespoir qui se voyoit perdu auprès du régent sans ressource, et sans avoir pu deviner pourquoi.

En cette extrémité je ne sais qui avisa sa femme de me venir trouver. Jamais je ne l’avois vue, ni Mme de Saint-Simon non plus ; Coigny et moi n’avions jamais mené la même vie ; je ne le connoissois point du tout, et ne le rencontrois presque jamais. Mme de Coigny étoit sœur du Bordage que nous ne voyions jamais non plus ; leur mère étoit Goyon-Matignon d’une autre branche que les Matignon, fille du marquis de La Moussaye et d’une sœur de M. de Turenne, tellement qu’elle étoit cousine issue de germaine de Mme de Saint-Simon, petites-filles des deux sœurs. Elle s’en vint franchement un matin toute seule chez moi réclamer parenté, secours, et me conter rondement le désespoir de son mari, et le sien, de lui voir se couper la gorge résolument sans que rien l’en pût empêcher, s’il ne parvenoit à entrer au conseil de guerre, et à fondre les glaces de M. le duc d’Orléans à son égard, qu’il ne savoit pas avoir jamais méritées. Sa franchise, sa confiance, sa situation me touchèrent. Je savois d’où le mal venoit ; mais comme je ne m’y intéressois ni en bien ni en mal, je n’en avois tenu nul compte. Je convins avec elle qu’avant tout il falloit arrêter la vente de la charge, et me donner après le temps de faire ce que je pourrois. Je la priai de m’envoyer son mari, et je la renvoyai toute consolée de se flatter d’une ressource, sans néanmoins m’être fait fort de rien. Dès le lendemain je vis arriver Coigny dans un état de désespoir, qu’il ne me cacha point, d’un homme qui voit perdus tous les travaux de sa