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Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 14.djvu/420

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de pierreries. Pour comble de fortune, il arriva en Europe avec son diamant. Il le fit voir à plusieurs princes, dont il passai les forces, et le porta enfin en Angleterre, où le roi l’admira sans pouvoir se résoudre à l’acheter. On en fit un modèle de cristal en Angleterre, d’où on adressa l’homme, le diamant et le modèle parfaitement semblable à Law, qui le proposa au régent pour le roi. Le prix en effraya le régent, qui refusa de le prendre.

Law, qui pensoit grandement en beaucoup de choses, me vint trouver consterné, et m’apporta le modèle. Je trouvai comme lui qu’il ne convenoit pas à la grandeur du roi de France de se laisser rebuter par le prix d’une pièce unique dans le monde et inestimable, et que plus de potentats n’avoient osé y penser, plus on devoit se garder de le laisser échapper. Law, ravi de me voir penser de la sorte, me pria d’en parler à M. le duc d’Orléans. L’état des finances fut un obstacle sur lequel le régent insista beaucoup. Il craignoit d’être blâmé de faire un achat si considérable, tandis qu’on avoit tant de peine à subvenir aux nécessités les plus pressantes, et qu’il falloit laisser tant de gens dans la souffrance. Je louai ce sentiment ; mais je lui dis qu’il n’en devoit pas user pour le plus grand roi de l’Europe comme pour un simple particulier, qui seroit très répréhensible de jeter cent mille francs pour se parer d’un beau diamant, tandis qu’il devroit beaucoup et ne se trouveroit pas en état de satisfaire ; qu’il falloit considérer l’honneur de la couronne et ne lui pas laisser manquer l’occasion unique d’un diamant sans prix, qui effaçoit ceux de toute l’Europe ; que c’étoit une gloire pour sa régence, qui dureroit à jamais, qu’en tel état que fussent les finances, l’épargne de ce refus ne les soulageroit pas beaucoup, et que la surcharge en seroit très peu perceptible. Enfin je ne quittai point M. le duc d’Orléans, que je n’eusse obtenu que le diamant seroit acheté.

Law, avant de me parler, avoit tant représenté au marchand