Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 14.djvu/423

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à connoître. La singularité du voyage en France d’un prince si extraordinaire m’a paru mériter de n’en rien oublier, et la narration de n’être point interrompue. C’est par cette raison que je la place ici un peu plus tard qu’elle ne devroit l’être dans l’ordre du temps, mais dont les dates rectifieront le défaut.

On a vu en son temps diverses choses de ce monarque ; ses différents voyages en Hollande, Allemagne, Vienne, Angleterre et dans plusieurs parties du nord ; l’objet de ces voyages et quelques choses de ses actions militaires, de sa politique, de sa famille. On a vu aussi qu’il avoit voulu venir en France dans les dernières années du feu roi, qui l’en fit honnêtement détourner. N’ayant plus cet obstacle, il voulut contenter sa curiosité, et il fit dire au régent par le prince Kurakin, son ambassadeur ici, qu’il alloit partir des Pays-Bas où il étoit pour venir voir le roi.

Il n’y eut pas moyen de n’en pas paroître fort aise, quoique le régent s’en fût bien volontiers passé. La dépense étoit grande à le défrayer ; l’embarras pas moins grand avec un si puissant prince et si clairvoyant ; mais plein de fantaisies, avec un reste de mœurs barbares et une grande suite de gens d’une conduite fort différente de la commune de ces pays-ci, pleins de caprices et de façons étranges, et leur maître et eux très délicats et très entiers sur ce qu’ils prétendoient leur être dû ou permis.

Le czar de plus étoit avec le roi d’Angleterre en inimitié ouverte qui alloit entre eux jusqu’à l’indécence et d’autant plus vive qu’elle étoit personnelle ; ce qui ne gênoit pas peu le régent dont l’intimité avec le roi d’Angleterre étoit publique, et que l’intérêt personnel de l’abbé Dubois portoit fort indécemment aussi jusqu’à la dépendance. La passion dominante du czar étoit de rendre ses États florissants par le commerce. Il y avoit fait faire quantité de canaux pour le faciliter. Il y en eut un pour lequel il eut besoin du concours du roi d’Angleterre, parce qu’il traversoit un petit