Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 14.djvu/428

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se tenir près de lui, l’accompagner partout, lui présenter tout le monde. C’étoit aussi son vrai ballot, et il s’en acquitta très bien.

Quand on sut le czar proche de Dunkerque, le régent envoya le marquis de Nesle [1] le recevoir à Calais et l’accompagner jusqu’à l’arrivée du maréchal de Tessé, qui ne devoit aller que jusqu’à Beaumont au-devant de lui. En même temps on fit préparer l’hôtel de Lesdiguières pour le czar et sa suite ; dans le doute qu’il n’aimât mieux une maison particulière avec tous ses gens autour de lui que le Louvre. L’hôtel de Lesdiguières étoit grand et beau, touchant à l’Arsenal, et appartenoit au maréchal de Villeroy, qui logeoit aux Tuileries. Ainsi la maison étoit vide, parce que le duc de Villeroy, qui n’étoit pas homme à grand train, l’avoit trouvée trop éloignée pour y loger. On le meubla entièrement et très magnifiquement des meubles du roi.

Le maréchal de Tessé attendit un jour le czar à Beaumont à tout hasard pour ne le pas manquer. Il y arriva le vendredi 7 mai sur le midi. Tessé lui fit la révérence à la descente de son carrosse, eut l’honneur de dîner avec lui, et de l’amener le jour même à Paris.

Il voulut entrer dans Paris dans un carrosse du maréchal, mais sans lui, avec trois de ceux de sa suite. Le maréchal le suivoit dans un autre. Il descendit à neuf heures du soir au Louvre, entra partout dans l’appartement de la reine mère. Il le trouva trop magnifiquement tendu et éclairé, remonta tout de suite en carrosse et s’en alla à l’hôtel de Lesdiguières,

  1. Le marquis d’Argenson rapporte sur ce personnage, l’anecdote suivante (Mémoires, édit. de 1825, p. 193-194) : « Le marquis de Nesle avait brigué la mission d’aller au-devant du czar Pierre et de lui faire les honneurs de la France, lors du voyage de ce prince au commencement de ce règne. On sait que le marquis se pique d’une extrême magnificence. Il avait si bien pris ses mesures qu’il changeait d’habit tous les jours. Toute l’attention que cette recherche lui attira du czar fut que ce prince dit à quelqu’un : « En, vérité, je plains M. de Nesle d’avoir un si mauvais tailleur qu’il ne puisse trouver un habit fait à sa guise. »