Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 14.djvu/438

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vu, et que je m’en allois chez d’Antin bayer tout à mon aise. Personne n’y entroit que les conviés et quelques dames avec Mme la Duchesse et les princesses ses filles qui vouloient bayer aussi. J’entrai dans le jardin où le czar se promenoit. Le maréchal de Tessé qui me vit de loin vint à moi, comptant me présenter au czar. Je le priai de s’en bien garder et de ne point s’apercevoir de moi en sa présence, parce que je voulois le regarder tout à mon aise, le devancer et l’attendre tant que je voudrois pour le bien contempler, ce que je ne pourrois plus faire si j’en étois connu. Je le priai d’en avertir d’Antin, et avec cette précaution je satisfis ma curiosité tout à mon aise. Je le trouvai assez parlant mais toujours comme étant partout le maître. Il rentra dans un cabinet où d’Antin lui montra divers plans et quelques curiosités, sur quoi il fit plusieurs questions. Ce fut là où je vis ce tic dont j’ai parlé. Je demandai à Tessé si cela lui arrivoit souvent ; il me dit plusieurs fois par jour, surtout quand il ne prend pas garde à s’en contraindre. Rentrant après dans le jardin, d’Antin lui fit raser l’appartement bas, et l’avertit que Mme la Duchesse y étoit avec des dames qui avoient grande envie de le voir. Il ne répondit rien et se laissa conduire. Il marcha plus doucement, tourna la tête vers l’appartement où tout étoit debout et sous les armes, mais en voyeuses. Il les regarda bien toutes et ne fit qu’une très légère inclination de la tête à toutes à la fois sans la tourner le long d’elles, et passa fièrement ; je pense à la façon dont il avoit reçu d’autres dames qu’il auroit montré plus de politesse à celles-ci, si Mme la Duchesse n’y eût pas été, à cause de la prétention de la visite. Il affecta même de ne s’informer pas laquelle c’étoit ni du nom de pas une des autres. Je fus là près d’une heure à ne le point quitter et à le regarder sans cesse. Sur la fin je vis qu’il le remarquoit : cela me rendit plus retenu dans la crainte qu’il ne demandât qui j’étois. Comme il alloit rentrer, je passai en m’en allant dans la salle où le couvert