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Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 14.djvu/469

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pense fort à se mettre dans les affaires ; qu’elle dit avoir remarqué une patience extrême en lui pour faire sa cour ; que le roi l’estime fort, et que, sur toutes les choses qu’il fait, il demande aux gens si M. le Prince les approuve. Il est même très constant qu’il tâche à cabaler. Il a été voir ce bonhomme de cordelier ; et la reine mère, quoiqu’elle ait une furieuse défiance de lui, l’aimeroit encore mieux que rien ; car il la recherche. Je tâcherai d’écrire quelque chose à monseigneur du P. Annat [1] ; mais comme c’est un homme fort réservé, je n’ose rien promettre. »

Peu de jours après, le même espion écrivoit à Fouquet :

« Je n’ai point osé m’empresser ce matin à vous suivre pour vous apprendre, monseigneur, ce que le bon religieux que vous savez me dit hier. J’en appris, entre autres choses, qu’il croyoit qu’il pourroit bien n’y avoir plus de conseil de conscience ; et qu’il y avoit deux jours que quelqu’un donna avis et envie au roi de voir une lettre que ces messieurs du conseil de conscience écrivoient à Rome par son ordre. Le paquet étant déjà entre les mains du courrier, fut reporté au roi, qui trouva que, dans cette lettre qu’il n’avoit point vue, ces messieurs écrivoient qu’ils tenoient le roi dans l’obéissance exacte qu’il devoit au saint-siège, et s’attribuoient comme la gloire de le gouverner. Cela le choqua extrêmement, et, jaloux comme il est de son autorité, il parut si irrité qu’il protesta qu’il ne les assembleroit plus.

« Au reste, Mme de Chevreuse [2] continue toujours à faire de grandes recherches à ce bonhomme-ci ; mais assurément cela ne servira de rien, et vous apprendrez précisément tout ce qu’elle lui dira. Il persiste à croire ce que je vous ai écrit du roi et de Mlle de La Vallière, et pense que ce : qu’il en dit il y a quelque temps est absolument vrai.

« Comme j’ai appris depuis peu que le P. Leclerc, que je pensois qui devoit être confesseur du roi après le P. Annat, le sera de Monsieur, je puis vous assurer que si cela est de quelque chose, j’aurai des habitudes et des liaisons aussi étroites avec lui que j’en ai auprès du bon père. »

L’influence de Mme de Chevreuse inquiétoit particulièrement Fouquet, et il chargea la personne qui lui transmettoit ces renseignements de découvrir les projets de cette dame. Il en reçut, le 21 juillet 1661, la réponse suivante :

« Je n’ai pu rien savoir de plus particulier de chez Mme

  1. Jésuite confesseur de Louis XIV.
  2. Marie de Rohan, née en décembre 1600 ; elle avait épousé en 1617 Charles d’Albert, duc de Luynes ; veuve en 1621, elle se remaria l’année suivante avec Claude de Lorraine, duc de Chevreuse ; elle mourut le 12 août 1679. Mme de Chevreuse, dont le nom reparaît plusieurs fois dans ces lettres était une des ennemies de Fouquet.