Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 14.djvu/471

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des avis contre tous les ministres, et que tantôt vous ôtes bien et tantôt mal dans son esprit ; qu’on vous y rend souvent de très méchants offices, et que dans ces temps-là elle est fort déchaînée contre vous. »

Ce correspondant de Fouquet lui donnoit quelquefois de bons conseils. Il lui écrivoit le 2 août 1661 :

« Le zèle, et la passion extrême que j’ai pour voire service, monseigneur, m’avoient fait penser en général, comme à plusieurs de vos serviteurs, qu’il ne vous seroit point avantageux en aucune sorte de vous défaire de votre charge de procureur général. Cependant, par la connoissance et par l’admiration que j’ai pour votre prudence et pour votre jugement, j’étois entièrement, persuadé qu’il n’y avoit rien de mieux, et que personne ne pouvant aller si loin ni juger si bien par ses propres lumières que vous, vous ne deviez prendre conseil que de vous-même. Cependant, monseigneur, j’ai appris aujourd’hui que vos ennemis sont ceux-là mêmes qui souhaitent avec passion que vous fassiez ce que vous avez résolu en cette rencontre ; que ce sont eux qui vous y portent sous main, et que vous devez même vous défier du bon accueil et du bon visage que vous fait le roi, et des vues qu’on vous donne sur d’autres choses.

« Mme de Chevreuse a été ici, et l’on m’a promis de m’apprendre des choses qui vous sont de la dernière conséquence sur cela, sur le voyage de Bretagne [1], sur certaines résolutions très secrètes du roi, et sur des mesures prises contre vous. Comme je n’ai pas voulu paroître fort empressé pour savoir ce qu’on avoit à me dire, je n’ai pas osé presser la personne qui m’a parlé, ni m’opiniâtrer à demander une chose que je saurai demain naturellement et sans affectation.

« La reine mère dit dimanche dernier, sur vous, que M. le cardinal avoit dit au roi que si l’on pouvoit vous ôter les bâtiments et les femmes de la tête, vous étiez capable de grandes choses ; mais que surtout il falloit prendre garde à votre ambition ; et c’est par là qu’on prétend vous nuire. J’ai compris aussi que, de plusieurs personnes qui vous rapportent ce qu’ils peuvent attraper, il y en a beaucoup qui s’y gouvernent étourdiment, et qui font les choses d’une manière qui fait voir qu’ils ne veulent savoir que pour vous rapporter ce qu’ils savent. Ce qui a fait dire à la reine mère, encore depuis peu, que vous aviez des espions partout. »

La lettre suivante contenoit encore des avis menaçants sur les dispositions du roi :

« L’on me dit hier qu’il y a peu de jours la reine mère, en parlant

  1. Le voyage de Bretagne et l’arrestation de Fouquet eurent lieu au commencement de septembre.