Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 14.djvu/478

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que d’Ormesson sollicitant dans la suite une grâce pour son fils. Louis XIV lui dit, comme parodiant les paroles du magistrat : « Je ferai ce que mon honneur et ma conscience me suggéreront. » Rien de plus faux que ces anecdotes. Il n’étoit ni dans le caractère de Louis XIV de descendre à des sollicitations personnelles, ni dans celui d’Olivier d’Ormesson de répondre au roi avec une hauteur insolente. Ce magistrat savoit concilier l’intègre observation de la justice et le respect pour l’autorité souveraine. Le résumé qu’il fait du procès en est une nouvelle preuve :

« Voilà ce grand procès fini, qui a été l’entretien de toute la France du jour qu’il a été commencé jusqu’au jour qu’il a été terminé. Il a été grand bien moins par la qualité de l’accusé et l’importance de l’affaire, que par l’intérêt des subalternes, et principalement de Berryer, qui y a fait entrer mille choses inutiles et tous les procès-verbaux de l’épargne, pour se rendre nécessaire, le maître de toute cette intrigue, et avoir le temps d’établir sa fortune ; et comme, par cette conduite, il agissoit contre les intérêts de M. Colbert, qui ne demandoit que la fin et la conclusion, et qu’il le trompoit dans le détail de tout ce qui se faisoit, il ne manquoit pas de rejeter les fautes sur quelqu’un de la chambre : d’abord ce fut contre les plus honnêtes gens de la chambre, qu’il rendit tous suspects, et les fit maltraiter par des reproches publics du roi ; ensuite il attaqua M. le premier président, et le fit retirer de la chambre et mettre en sa place M. le chancelier. Après il fit imputer toute la mauvaise conduite de cotte affaire à M. Talon [1], qu’on ôta de la place de procureur général avec injure ; et enfin, la mauvaise conduite augmentant, les longueurs affectées par lui continuant, il en rejeta tout le mal sur moi ; il me fit ôter l’intendance de Soissons, il obligea M. Colbert à venir faire à mon père des plaintes de ma conduite ; et enfin l’expérience ayant fait connoître qu’il étoit la véritable cause de toutes les fautes, et les récusations ayant fait voir ses faussetés, les procureurs généraux Hotman et Chamillart lui firent ôter insensiblement tout le soin de cette affaire, et dans les derniers mois il ne s’en mêloit plus, et pour conclusion il est devenu fou [2], et ainsi le procès s’est terminé ; et je puis dire que les fautes importantes dans les inventaires, les coups de haine et d’autorité qui ont paru dans tous les incidents du procès, les faussetés de Berryer et les mauvais traitements que tout le monde, et même les juges, recevoient dans leur fortune particulière [3], ont été

  1. Denis Talon, fils d’Omer Talon, avait d’abord été procureur général de la chambre de justice.
  2. Voy. Mme de Sévigné, lettre du 17 décembre 1664.
  3. Olivier d’Ormesson fait allusion à la réduction des rentes opérée par Colbert en 1664.