Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 14.djvu/71

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Ce fut dans ce point que Louville arriva à Madrid, et vint descendre et loger chez le duc de Saint-Aignan, qui fut dans une grande surprise, et qui n’en avoit pas eu le moindre avis. Un courrier fortuit, qui rencontra Louville à quelque distance de Madrid, le dit à Albéroni. On peut juger, aux soupçons et à la jalousie dont il étoit tourmenté, quelle fut pour lui cette alarme. Il n’ignoroit pas quel étoit Louville, le crédit qu’il avoit eu auprès du roi d’Espagne, la violence que Mme des Ursins et la feue reine lui avoient faite pour le lui arracher ; aussi la frayeur qu’il conçut de cette arrivée inattendue fut-elle si pressante qu’il ne garda nulle mesure pour s’en délivrer. Il dépêcha sur-le-champ un ordre par un courrier à la rencontre de Louville, pour lui défendre d’approcher plus près de Madrid. Le courrier le manqua ; mais un quart d’heure après qu’il eut mis pied à terre, il reçut un billet de Grimaldo, portant un ordre du roi d’Espagne de partir à l’heure même. Louville répondit qu’il étoit chargé d’une lettre de créance du roi, et d’une autre de M. le duc d’Orléans pour le roi d’Espagne, et d’une commission pour Sa Majesté Catholique, qui ne lui permettoit pas de partir sans l’avoir exécutée. M. de Saint-Aignan manda la même chose à Grimaldo. Sur cette réponse, un courrier fut dépêché à l’heure même au prince de Cellamare, avec ordre de demander le rappel de Louville, et de déclarer que le roi d’Espagne avoit sa personne si désagréable qu’il ne vouloit ni le voir, ni laisser traiter avec lui aucun de ses ministres. La fatigue du voyage, suivie d’une telle réception, causa dans la nuit une attaque de néphrétique à Louville, qui en avoit quelquefois, de sorte qu’il se fit préparer un bain, dans lequel il se mit sur la fin de la matinée.

Albéroni vint lui-même le voir chez le duc de Saint-Aignan, pour lui persuader de s’en aller sur-le-champ. L’état où on lui dit qu’il étoit ne put l’arrêter ; il le vit malgré lui dans son bain. Rien de plus civil que les paroles, ni de plus