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Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 14.djvu/72

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sec, de plus négatif, de plus absolu que leur sens. Albéroni plaignit son mal et la peine de son voyage, auroit souhaité de l’avoir su pour le lui avoir épargné, et désiré pouvoir surmonter la répugnance du roi d’Espagne à le voir, du moins à lui permettre de se reposer quelques jours à Madrid ; qu’il n’avoit pu rien gagner sur son esprit, ni s’empêcher d’obéir au très exprès commandement qu’il en avoit reçu de venir lui-même lui porter ses ordres de partir sur-le-champ, et de les voir exécuter. Louville lui parut dans un état qui portoit avec soi l’impossibilité de partir. Il en admit donc l’excuse, mais en l’avertissant qu’elle ne pouvoit durer qu’autant que le mal, et que l’accès passé elle ne pourroit plus être admise. Louville insista sur ses lettres de créance qui lui donnoient caractère public pour exécuter une commission importante de la part du roi, neveu du roi d’Espagne, telle que Sa Majesté Catholique ne pouvoit refuser de l’entendre directement de sa bouche, et qu’il auroit lieu de regretter de n’avoir pas écoutée. La dispute fut vive et longue malgré l’état de Louville, qui ne put rien gagner. Il ne laissa pas de demeurer cinq au six jours chez le duc de Saint-Aignan, et de le faire agir comme ambassadeur pour lui obtenir audience, quoique M. de Saint-Aignan, ami de Louville, ne laissât pas de se sentir du secret qu’il lui fit toujours, selon ses ordres, de l’objet de sa mission.

Louville n’osoit aller chez personne, de peur de se commettre ; personne aussi n’osa le venir chercher. Il se hasarda pourtant, par curiosité, d’aller voir passer le roi d’Espagne dans une rue, et pour tenter si, en le voyant, il ne seroit pas tenté de l’entendre, en cas, comme il étoit très possible, qu’on lui eût caché son arrivée. Mais Albéroni avoit prévu à tout. Louville vit en effet passer le roi, mais il lui fut impossible de faire que le roi l’aperçût. Grimaldo vint enfin signifier à Louville un ordre absolu de partir, et avertir le duc de Saint-Aignan que le roi d’Espagne étoit si en colère de l’opiniâtreté de ce délai, qu’il ne pouvoit lui répondre de ce qui arriveroit si le séjour de Louville étoit poussé plus loin, et qu’on ne se trouvât obligé à manquer aux égards qui étoient dus à