Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 14.djvu/74

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de Maintenon contre le cardinal et l’abbé d’Estrées et lui ; et que le roi, affligé au dernier point, cédant aux ordres donnés de France à Louville, lui avoit en partant doublé et assigné ses pensions qui lui avoient été longtemps payées, et donné de plus une somme d’argent et le gouvernement de Courtray, qu’il n’a perdu que par les malheurs de la guerre qui suivirent la perte de la bataille de Ramillies. À l’égard de la commission, la nier étoit une impudence extrême, d’un homme aussi connu que Louville, qui vient descendre chez l’ambassadeur de France, qui dit avoir des lettres de créance du roi et du régent, et une commission importante dont il ne peut traiter que directement et seul avec le roi d’Espagne, et pour l’audience duquel l’ambassadeur de France s’emploie au nom du roi. Rien de si aisé que de couvrir Louville de confusion, s’il avoit allégué faux, en lui faisant montrer ses lettres de créance ; s’il n’en eût point eu, il seroit demeuré court, et alors n’ayant point de caractère, Albéroni auroit été libre du châtiment. Que si, avec des lettres de créance, il n’eût eu qu’un compliment à faire pour s’introduire et solliciter son payement, Albéroni l’auroit déshonoré bien aisément de n’avoir point de commission, après avoir tant assuré qu’il étoit chargé d’une fort importante. Mais la toute-puissance dit et fait impunément tout ce qu’il lui plaît.

Louville de retour, il fallut renvoyer au roi d’Angleterre tout ce que Louville avoit porté en Espagne pour Gibraltar ; et cette affaire demeura comme non avenue, sinon qu’elle piqua fort Albéroni contre le régent d’avoir voulu faire passer une commission secrète au roi d’Espagne à son insu, et par un homme capable de le supplanter, et le régent contre Albéroni qui avoit fait avorter le projet avec tant d’éclat, et lui avoit osé faire sentir quelle étoit sa puissance, qui tous deux ne l’oublièrent jamais, mais le régent par la nécessité des affaires, et sans altération de sa débonnaireté. Albéroni, qui n’étoit pas de ce tempérament, et qui, autrefois petit