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Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 15.djvu/104

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outre les dédommagements des frais de la suite de ce prince, auquel on détacha aussi d’autres espions.

L’inquiétude des Impériaux étoit tellement étendue qu’un espèce d’agent du czar, nommé Le Fort, étant parti alors de Paris pour Turin, ils en inférèrent des liaisons secrètes de ce prince avec le roi de Sicile. Le czar étoit très suspect aux Anglois. On a vu que Widword et l’amiral Norris l’avoient inutilement caressé en Hollande sur le commerce et sur les vues de la paix du nord, et sur l’amitié du roi d’Angleterre. Les Moscovites, pour toute réponse, avoient insisté sur le projet agité l’hiver précédent ; que c’étoit uniquement sur ce pied-là, et d’une garantie mutuelle, qu’ils traiteroient avec le roi d’Angleterre ; qu’ils ne l’engageroient pas à former un concert pour la paix, non plus qu’à tenter aucune entreprise, quand l’engagement ne seroit que pour un an. Les Anglois, dans ce mécontentement du czar, s’en consolèrent sur l’espérance, qu’ils commencèrent à prendre, que les dispositions du régent étoient sincères, qu’il observeroit la triple alliance, qu’il agiroit de bonne foi avec eux pour empêcher le renouvellement de la guerre.

On sut enfin que la flotte d’Espagne ayant fait voile de Barcelone le 15 juillet, une partie étoit arrivée devant Cagliari le 10, l’autre le 21 août ; que le marquis de Lede, général des troupes, ayant fait toutes les dispositions nécessaires pour la descente, avoit fait sommer le marquis de Rubi, vice-roi pour l’empereur, que, sur son refus, dix-huit mille hommes [1] avoient mis pied à terre ; que le vice-roi, sommé une seconde fois, avoit répondu comme à la première ; qu’il n’avoit que cinq cents hommes de garnison, et qu’on doutoit qu’il pût se défendre six ou sept jours au plus. Ce commencement de guerre conduisoit à un embrasement général de l’Europe, selon les raisonnements des politiques.

  1. Le manuscrit porte dix-huit mille hommes. La plupart des historiens disent que l’armée de débarquement n’était que de huit mille hommes.