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Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 15.djvu/123

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Cadogan, arrivé depuis peu à la Haye de la part du roi d’Angleterre, étoit d’un caractère à ne ménager personne. Il avoit eu la guerre passée toute là confiance du duc de Marlborough, et par lui du prince Eugène et du Pensionnaire, et, comme eux, haïssait parfaitement la France, surtout le gouvernement du feu roi et tous ceux dont il s’étoit servi. Il parla à Beretti de l’entreprise de l’Espagne avec toute la fureur autrichienne. Inquiet du traité fait depuis peu entre le régent, le czar et le roi de Prusse, il se plaignit aigrement de n’en avoir point de connoissance. Là-dessus Châteauneuf eut ordre de le lui communiquer. Il prétendit qu’il ne l’avoit fait qu’en termes généraux, et que, depuis la triple alliance, le Pensionnaire et plusieurs autres membres des États généraux s’étoient attendus qu’il le communiqueroit en forme. Cela fit courir le bruit que le roi d’Angleterre avoit demandé le rappel de Châteauneuf, pour avoir négocié et signé ce traité. Le fond étoit la mésintelligence de Georges avec son gendre et le czar, son chagrin et celui de ses ministres de les voir unis avec la France, et leur inquiétude de leur voir faire une paix séparée avec la Suède, en se détachant de la ligue du nord.

Goertz, principal ministre de Suède, étoit à Berlin. Le czar, plus animé que jamais contre Georges et contre la personne de ses deux ministres allemands, se trouvoit aussi à Berlin, et il s’y étoit dressé un plan de paix particulière avec la Suède, à l’exclusion des rois d’Angleterre et de Danemark. Ce projet passoit en Hollande pour être concerté avec la France, et le régent pour en presser l’exécution. Cadogan et quelques autres assuroient que le régent n’y avoit point de part, mais un autre parti en France qui empêchoit souvent l’exécution des volontés de ce prince, qui vouloit borner son autorité, et pour cela embraser l’Europe, pour y embarrasser la France et encore plus le régent, dont l’intérêt personnel étoit de concourir avec l’Angleterre à rétablir le repos du nord et à prévenir les troubles de l’Italie ; et [il ajoutait] que