Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 15.djvu/144

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avec le P. Tellier, qu’étant nommé député des états de Languedoc pour en venir apporter les cahiers, il y eut un ordre du roi d’en choisir un autre. Quand il se fut bien instruit de tout ce qu’il vouloit découvrir, qu’il en eut rendu compte au P. Tellier, et qu’il n’eut plus rien à apprendre, il chanta la palinodie dès qu’il fut retourné à Nîmes, y monta en chaire et fit amende honorable à la constitution. Aussitôt le roi lui fit rendre la députation, et il vint triomphant jouir de son crime dans les caresses et les promesses du P. Tellier, qui ne l’empêcha pas de devenir l’horreur du monde. Il avoit bien d’autres choses encore sur son compte, et est mort enfin escroc et banqueroutier, et d’une façon déplorable.

Il se présenta une affaire au conseil de régence qui me donna lieu à un petit trait qu’il faut que je m’amuse un moment à rapporter. M. d’Elboeuf étoit gouverneur de Picardie et d’Artois, où il ne tenoit pas ses mains dans ses poches, et se moquoit des intendants. M. le duc d’Orléans le considéroit et le ménageoit, et il en abusa au point qu’il le força d’y mettre quelque ordre. Il y a un petit canton riche et abondant, entré l’Artois et la Flandre, qui s’appelle le pays de Lalleu, qui de tout temps étoit du gouvernement de Flandre et des états de Lille. M. d’Elboeuf qui étoit bien aise d’y allonger ses mains et l’étendue aussi de son gouvernement, demanda que ce pays de Lalleu fût incorporé aux états d’Artois, et ne fût plus de ceux de Lille. Je supprime les raisons de part et d’autre, qui ne feroient qu’ennuyer.

La maréchale de Boufflers vint m’apprendre cette prétention qui devoit être incessamment jugée au conseil du dedans du royaume, puis rapportée par d’Antin au conseil de régence pour l’être définitivement. Peu importoit à la maréchale de quels états seroit ce petit pays, mais elle sentoit que la prétention du duc d’Elboeuf étoit un chausse-pied s’il la gagnoit, pour les états d’Artois, de le prétendre après de son gouvernement, quoiqu’il ne s’en agît pas encore. Je lui conseillai d’en faire parler par son frère à M. le duc d’Orléans.