Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 15.djvu/157

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de refuser le don gratuit par acclamations, comme ils l’avoient toujours fait depuis 1672, et peu satisfaits d’un million de diminution qui leur avoit été accordé dessus, ils ne parlèrent que de leurs privilèges du temps de leurs ducs, et voulurent changer une infinité de choses, sans que le prince de Léon, qui présidoit à la noblesse, et qui y étoit considéré, pût, rien gagner. On y envoya neuf bataillons, outre deux qui y étoient déjà, et on y fit marcher en même temps dix-huit escadrons. On s’attendoit depuis quelque temps à y voir arriver du désordre. Le maréchal de Montesquiou avoit été chargé de séparer les états s’il les voyoit disposés à ne pas obéir à la volonté du roi. Il différa quelques jours ; mais les états ayant déclaré qu’ils ne changeroient point d’avis, il congédia l’assemblée. Ce fut le commencement des troubles de ce pays-là, et le fruit des pratiques de M. et de Mme du Maine.

Il y avoit quelque temps que j’étois dans un commerce secret et encore plus obscur qui, en voulant me mettre le doigt sur la lettre, m’en montroit assez pour me faire voir en gros de dangereuses cabales, et me faisoit une énigme suivie de tout ce qui m’en pouvoit éclaircir. Mme d’Alègre, dont le mari a été longtemps depuis maréchal de France, m’envoya un prêtre un matin me demander chez moi une audience fort secrète, et me prier surtout de ne point aller chez elle. Je ne la connoissois en façon du monde, et je n’avois jamais été en aucun commerce avec son mari. L’aventure me parut fort singulière, aussi cette femme l’étoit-elle beaucoup. J’en ai parlé assez pour la faire connoître, à l’occasion du mariage de sa fille Mme de Barbezieux, et des suites de ce mariage. Mme d’Alègre vint donc chez moi à l’heure marquée.

Ce fut d’abord des compliments sans fin et des louanges merveilleuses ; je répondois courtement et voulois venir au fait ; mais je reconnus bientôt que l’embarras d’y entrer multiplioit la préface. De là elle vint aux louanges de M. le duc d’Orléans, à celles de mon attachement pour lui, à la