Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 15.djvu/159

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ne leur voyois point d’entours bretons. Sa singularité, sa vie dévote et assez retirée, son esprit, car elle en avoit, qui assoit pour tourné à la chimère, me fit soupçonner qu’elle cherchoit à s’intriguer. Je ne fis donc pas grand cas de tout ce qu’elle me dit, et comme il n’y eut rien que de fort vague, je ne crus pas en devoir alarmer le régent.

Après l’éclat des états de Bretagne, elle revint, me dit qu’elle étoit bien informée d’avance de ce qui venoit d’arriver, et encore par quels ressorts ; que le régent se trompoit s’il pensoit que l’affaire fût finie, ou que les prétentions des états en fussent l’objet ; et me prenant les mains et les appuyant sur mes genoux avec des roulis d’yeux : « Tout cela, monsieur, assurez-vous-en bien et ne le laissez pas ignorer au régent, n’est que le chausse-pied, vous en verrez bien d’autres ; mais…. et…. car…. » Et d’autres mots coupés, comme une femme qui sait et qui se retient, et tout de suite se lève pour s’en aller. J’eus beau faire, je n’en pus rien tirer de plus. En passant la porte : « Il n’est pas temps encore, me dit-elle, mais je vous reverrai, mais ne vous endormez pas, ni M. le duc d’Orléans. » En disant cela, elle ferme la porte et s’en va.

Quelque obscure que fût cette seconde visite, je crus devoir pourtant en rendre compte à M. le duc d’Orléans. Quoiqu’il connût bien ce que c’étoit que Mme d’Alègre, et qu’il ne vît pas plus clair dans ses langages que moi, il me parut en faire plus de cas que je n’aurois pensé. Il voulut que je suivisse ce commerce, c’est-à-dire que je me tinsse toujours prêt à la recevoir et à l’entendre, puisque sa maison m’étoit interdite ; que je lui témoignasse reconnoissance de sa part, et que je fisse de mon mieux pour en tirer tout ce qu’il seroit possible. J’aurai à revenir à ce commerce plus d’une fois.

L’abbé Dubois revint d’Angleterre les premiers jours de décembre, et y retourna avant la fin du même mois. C’étoit Nancré qu’il avoit établi son correspondant et par qui ses