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Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 15.djvu/18

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leur fermer la bouche, Albéroni commença par obtenir une lettre du régent au cardinal de La Trémoille, par laquelle il lui mandoit de suspendre toute demande capable de traverser sa promotion, et il se proposa de terminer au gré du pape les différends entre les deux cours, dès qu’Aldovrandi seroit arrivé, qu’il attendoit avec impatience.

Dans cette situation personnelle, il n’avoit garde de déranger le bon état de son affaire, en laissant donner par le roi d’Espagne des marques de ressentiment de l’arrêt de la personne de Molinez ; il n’avoit nulle estime pour lui, et l’appeloit ordinairement solemnissima bestia. Il disoit qu’il méritoit bien cette aventure, qu’il demeureroit longtemps au château de Milan s’il en étoit cru, et qu’il ne valoit pas la peine de déranger les projets de l’escadre pour la délivrance de cet oracle des Espagnols. En même temps il se vantoit de ce qu’il avoit fait et prétendoit faire pour le service du roi d’Espagne. Il disoit qu’il avoit armé trente vaisseaux en moins de huit mois, envoyé six cent mille écus à la Havane, pour employer en tabac qui seroit vendu en Europe au profit du roi ; employé cent cinquante mille écus en achats de provisions pour la marine, cent quatre-vingt mille écus en bronze pour l’artillerie, dont les places étoient dépourvues, et cent vingt mille pistoles pour la citadelle de Barcelone. Enfin, ajoutoit-il, l’Espagne n’en avoit pas tant fait en trois siècles, et ne l’eût pu faire encore s’il eût laissé répandre et distribuer l’argent comme par le passé. À l’avenir il vouloit établir une marine, régler les finances de manière que les troupes fussent bien payées, [et] un fonds sûr pour le payement des maisons royales, en sorte que les rois ne vivroient plus dans la misère de leurs prédécesseurs. Il vouloit encore des troupes étrangères, et persistoit à demander au roi d’Angleterre la permission de lever dans ses États des Anglois ou des Irlandois. L’Angleterre, de son côté, et la Hollande aussi, le pressoient d’un règlement sur le commerce de Cadix. Patiño étoit chargé d’assembler là-dessus chez lui les