Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 15.djvu/199

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Le duc de Modène, qui avoit toujours fort ménagé la cour de Vienne et qui avoit eu l’honneur d’être beau-frère de l’empereur Joseph, refusa par cette considération de donner sa fille au Prétendant, qu’Albéroni, le foible parti de ce prince et ses amis pressoient de se marier. Les Anglois même, et protestants, et les plus aliénés de sa maison, le désiroient aussi pour avoir toujours un droit légitime à montrer à leur roi, le faire souvenir de leur choix, et le contenir par cette perspective. Le pape étoit entré dans ce mariage de Modène, et vouloit aller lui-même le célébrer à Lorette, et donner la bénédiction nuptiale, honneur peu conforme aux intérêts du Prétendant en Angleterre, et à un triste état qu’il ne cherchoit qu’à cacher.

Outre le pouvoir que donnoit à l’empereur sa situation de maître de l’Italie, il y pouvoit tout encore par le moyen des neveux du pape. On doutoit qu’il fût informé de leurs engagements secrets et des grâces qu’ils en retiroient, mais on parloit tout haut à Rome et avec le dernier scandale de la dépendance du cardinal Albane de la cour de Vienne, et des sommes considérables qu’il touchoit sur Naples, dont le payement étoit régulier ou interrompu, selon que Gallas étoit satisfoit ou mal content de sa conduite. Il avoit été suspendu à la promotion d’Albéroni, parce que Gallas trouva qu’Albane ne s’y étoit pas assez opposé. Dans la suite, ils se raccommodèrent, et le robinet de Naples fut rouvert. On croyoit communément que personne n’osoit instruire le pape de la vénalité de ses neveux ; on voyoit sa nonchalance sur un désordre dont l’évidence ne pouvoit lui être inconnue. Ceux qui étoient le plus à portée de lui parler savoient certainement qu’ils se perdroient s’ils touchoient cette corde, parce que le cardinal Albane étoit le maître de les ruiner dans l’esprit de son oncle, quoiqu’il n’eût pour lui ni estime ni tendresse. Ce neveu en étoit lui-même si persuadé qu’il craignoit la vengeance d’Aldovrandi qui, dans la persécution qu’il souffroit des neveux, pour plaire à l’empereur, et soutenu