Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 15.djvu/217

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réformoient, principalement les bataillons suisses. On parloit fort aussi des négociations secrètes d’Albéroni pour engager les Turcs, par le moyen de Ragotzi, à ne faire ni paix ni trêve avec l’empereur.

Mais le secret de ce premier ministre étoit réservé à lui tout seul. Qui que ce soit n’avoit sa confiance, ses accès très difficiles ; les ministres étrangers ne lui parloient que par audiences qu’il leur falloit demander par écrit. Tout le gouvernement étoit renfermé dans sa seule personne. Chaque secrétaire d’État venoit lui rendre compte de son département et recevoir ses ordres. La stampille [1] même étoit entre ses mains, par lesquelles passoient toutes les expéditions et les ordres secrets du roi d’Espagne, qui étoit inaccessible, qu’on ne voyoit que le moment qu’il s’habilloit, et qui ne disoit jamais mot à personne. Monti même, l’ami intime d’Albéroni de tous les temps, allé à Madrid pour le plaisir de le voir revêtu de la pourpre, et logeant chez lui, eut peine à voir le roi et la reine d’Espagne. On n’a point su s’il y eut entre ces deux amis quelque affaire particulière et quelque mesure prise par rapport aux affaires de France on remarqua seulement qu’Albéroni affecta de répandre qu’il ne voyoit Monti qu’à dîner qui, accoutumé aux sociétés de Paris, s’ennuieroit bientôt de la solitude de Madrid. Chalois y arriva alors rappelé par le roi d’Espagne ; on crut que c’étoit pour l’employer dans la marine. Albéroni triomphoit du bon et glorieux état où il avoit remis l’Espagne, et en insultoit au cardinal del Giudice et aux précédents ministères, qui n’avoient pu la tirer de son abattement.

Il témoignoit à ses amis que rien ne le surprenoit de ce qui se passoit à Rome. La reine et lui avoient pour cette cour le plus profond mépris. Il fit déclarer dans toutes les cours étrangères que ce bref injurieux que le pape avoit fait imprimer n’avoit jamais été présenté au roi d’Espagne, et fit

  1. Il a été question de la stampille ou sceau, tome III, p. 117-118.