Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 15.djvu/282

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duc d’Orléans, en ait montré la première prétention, il avoit si bien fait valoir sa chimère de roi de Chypre, par ce qu’il valoit lui-même, et par la situation importante de ses États, que ses pères et lui avoient peu à peu continuellement agrandis, qu’il avoit enfin obtenu à Rome la salle royale pour ses ambassadeurs, à Vienne le traitement pour eux d’ambassadeurs de tête couronnée, et sur ces deux grands exemples, dans toutes les cours de l’Europe, sans toutefois en avoir aucun traitement pour sa personne, et tel toujours que ses pères l’avoient eu. Il avoit été lors marié longtemps sans prétendre au traitement d’Altesse Royale, dont la duchesse son épouse jouissoit comme petite-fille de France, et qu’elle ne lui communiqua point. Mais quand il se vit en possession partout du traitement de tête couronnée par ses ambassadeurs, il commença à prétendre un traitement personnel et distingué pour lui-même et par lui-même, qui fut l’Altesse Royale, n’osant porter ses yeux jusqu’à la Majesté. Il l’obtint peu à peu partout assez promptement, et dans la vérité il étoit difficile de s’en défendre, après avoir accordé à ses ambassadeurs le traitement de ceux des têtes couronnées. La chimère des ducs de Lorraine, prétendus rois de Jérusalem, n’avoit pas été si heureuse. Leur faiblesse, ni la situation de leur état n’influoit en rien dans l’Europe, dont aucune cour n’avoit besoin d’eux. Le duc de Savoie, au contraire, pouvoit beaucoup à l’égard de l’Italie et de tous les princes qui y avoient ou y vouloient posséder des États, et qui y vouloient porter ou en éloigner la guerre ; c’est ce qui fit toute la différence entre lés chimères d’ailleurs pareilles de Chypre et de Jérusalem. Rien donc de semblable entre ces deux souverains, sinon d’avoir l’un et l’autre épousé deux petites-filles de France, sœurs de M. le duc d’Orléans, jouissant toutes deux du traitement d’Altesse Royale, sans que pas une des deux l’ait communiqué à son époux. Tel étoit l’état véritable des choses quand le duc de Lorraine crut le temps favorable, et qu’il en voulut profiter.