Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 15.djvu/292

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honnêtement, et plus sobrement et convenablement, quelquefois chez lui, souvent chez Mme la duchesse d’Orléans ; que sa santé y gagneroit, et lui du temps pour les affaires, mais qu’il ne feroit ce changement qu’après le départ de M. et de Mme de Lorraine qui seroit incessamment, parce qu’il crèveroit d’ennui de souper tous les soirs chez Mme la duchesse d’Orléans avec eux et avec une troupe de femmes ; mais que, dès qu’ils seroient partis, je pouvois compter qu’il n’y auroit plus de soupers de roués et de putains, ce furent ses propres termes, et qu’il alloit mener une vie sage, raisonnable et convenable à son âge et à ce qu’il était.

J’avoue que je me sentis ravi dans mon extrême surprise par le vif intérêt que je prenois en lui. Je le lui témoignai avec effusion de cœur en le remerciant de cette confidence. Je lui dis qu’il savoit que depuis bien longtemps je ne lui parlois plus de l’indécence de sa vie ni du temps qu’il y perdoit, parce que j’avois reconnu que j’y perdois le mien ; que je désespérois depuis longtemps qu’il pût changer de conduite ; que j’en avois une grande douleur ; qu’il ne pouvoit ignorer à quel point je Pavais toujours désiré par tout ce qui s’étoit passé entre lui et moi là-dessus à bien des reprises, et qu’il pouvoit juger de la surprise et de la joie qu’il me donnoit. Il m’assura de plus en plus que sa résolution étoit bien prise, et là-dessus je pris congé parce que l’heure de sa soirée arrivoit.

Dès le lendemain je sus par gens à qui les roués venoient de le conter, que M. le duc d’Orléans ne fut pas plutôt à table avec eux qu’il se mit à rire, à s’applaudir et à leur dire qu’il venoit de m’en donner d’une bonne où j’avois donné tout de mon long. Il leur fit le récit de notre conversation, dont la joie et l’applaudissement furent merveilleux. C’est la seule fois qu’il se soit diverti à mes dépens, pour ne pas dire aux siens, dans une matière où la bourde qu’il me donna, que j’eus la sottise de gober par une joie subite qui