Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 15.djvu/330

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ennemis de M. le duc d’Orléans, pour le culbuter, et qui, en attendant que leurs conducteurs vissent le moment de les faire frapper au véritable but, se laissoient éblouir du beau dessein de mettre tout dans une égalité qui, en défigurant l’État, le rendant dissemblable à ce qu’il est depuis sa fondation, et à tous les autres États du monde, anéantissoit les avantages de la grande, ancienne et véritable noblesse, ôtait les gradations, supprimoit les récompenses, détruisoit radicalement toute ambition, attaquoit l’autorité, le droit et la majesté du trône, à réduisoit tout au même niveau, et par une suite nécessaire, dans la dernière confusion, jetoit tout dans l’oisiveté, dans la paresse, dans le néant, vidoit la cour, désertoit les armées, les ambassades, etc., et ne laissoit de distinctions et d’avantages qu’aux richesses, par conséquent à la bassesse, à l’avarice, à la cupidité d’en acquérir et de les conserver par toutes sortes de moyens. En même temps elle [ne] vit pas combien par cette folle action elle manquoit de respect au roi, eu usurpant, bien que sa sujette, une autorité inséparable de sa couronne, et au régent son père, unique dépositaire, comme régent, de l’autorité du roi mineur, et le seul en France qui eût caractère pour l’exercer en son nom.

Incontinent après s’être si étrangement montrée protectrice de cette écume de noblesse, elle se porta à insulter en public toute la véritable et la haute noblesse, qu’elle offensa toute en la personne de deux dames de cette qualité. On a vu, ci-dessus, p. 64, comment et pourquoi Mmes de Beauvau et de Clermont-Gallerande avoient quitté les places qu’elles avoient auprès d’elle. Elle le leur pardonnoit d’autant moins qu’elles en étoient fort approuvées et qu’elles et leurs maris n’en avoient pas été moins bien traités depuis par Madame, et par M. et Mme la duchesse d’Orléans. Étant à l’Opéra, dans sa petite loge, elle se trouva si piquée de voir Mme de Clermont vis-à-vis d’elle dans la petite loge de M. le comte de Toulouse qui n’y étoit pas, qu’elle envoya sur-le-champ