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Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 15.djvu/373

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secrète jetoit l’incertitude dans ses résolutions, et le retardement à l’exécution de ses projets. Le roi d’Espagne, bien plus malade d’esprit que de corps, se croyoit sur le point de mourir à chaque instant, et persuadé que ses forces l’abandonnoient, il mangeoit pour les réparer avec tant d’excès que tout en étoit à craindre. Il se confessoit tous les soirs après son souper, et il retenoit son confesseur auprès de son lit jusqu’à ce qu’il se fût endormi. Il n’étoit pas permis à la reine de le quitter un seul instant. Ce prince étant donc hors d’état d’entendre parler d’aucune affaire, le pouvoir d’Albéroni étoit plus souverain que jamais. Il régloit tout et disposoit de tout au nom du roi ; qui que ce soit n’osoit lé contredire, et il avoit déclaré plusieurs fois aux secrétaires d’État que, si quelqu’un d’eux manquoit à son devoir pour l’exécution de ses ordres, il lui en coûteroit la vie.

On répandoit néanmoins dans le public que la santé du roi étoit parfaitement rétablie. Le P. Daubenton disoit à ses amis que ce prince avoit trop de scrupules. Tout occupé qu’il étoit auprès de lui, il ne laissoit pas d’apporter tous ses soins à trouver en Espagne des défenseurs à la constitution. Il y servoit d’agent non seulement au pape, mais au cardinal de Bissy. Il avoit eu soin de faire tenir ses lettres au patriarche de Lisbonne, aussi bien que de solliciter les évêques et les chapitres d’Espagne d’écrire en faveur de la constitution. Il auroit voulu modérer leur zèle sur l’infaillibilité du pape, et sur la supériorité qu’ils lui attribuoient sur les conciles. Mais cette maxime étant le principe et le fondement de leur soumission sans réserve à la bulle, le jésuite qui l’avoit faite avec Fabroni, comme on l’a vu en son lieu, auroit en vain essayé de les empêcher, comme il disoit, de fourrer dans leurs écrits des maximes très déplaisantes à la France. Le nonce Aldovrandi pressoit de son côté les évêques d’Espagne de faire au plus tôt une acceptation universelle, publique et positive de la constitution. Quoique, par les raisons de domination suprême qu’on a vues ci-devant,