Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 15.djvu/386

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si opposés à des considérations si puissantes, qu’il choisît des routes si dangereuses pour lui, et que, se laissant aller à des conseils de gens qui ne songeoient qu’à leurs propres intérêts, il fermât les yeux à ses propres lumières pour se laisser conduire dans le précipice. Le cardinal assuroit que, loin de réussir par de telles routes, le régent verroit la guerre civile allumée dans le sein de la France. Ce présage alors ne paraissoit fondé que sur le génie des François, portés à se faire la guerre entre eux quand ils ne sont pas occupés par des guerres étrangères ; et comme la crainte d’engager le royaume dans une guerre nouvelle avec les étrangers étoit l’unique motif qui avoit obligé Son Altesse Royale à travailler aux moyens de ménager la paix entre l’empereur et l’Espagne, Albéroni, loin d’approuver cette crainte juste mais peu conforme à ses idées, la traitoit de terreur panique et s’épuisoit en raisonnements. Il croyoit intimider le roi d’Angleterre par la fermentation qui régnoit chez lui, et se savoit gré d’avoir menacé Bubb, à Madrid, de donner de puissants secours au Prétendant. Il vouloit engager le régent à parler sur le même ton à Georges. Il disoit que, s’unissant au roi d’Espagne, il lui feroit dépenser bien des millions en Italie, qu’il garderoit certainement pour des occasions plus éloignées, si Son Altesse Royale s’amusoit encore à des négociations frivoles, comme il paraissoit par le départ prochain de Nancré pour se rendre à Madrid. En même temps, il tâchoit de faire répandre que, sur l’article des négociations pour la paix, il n’étoit pas maître de l’esprit du roi d’Espagne ; que non seulement là-dessus, mais en beaucoup de choses qui ne regardoient que des affaires particulières, il avoit fort à le ménager et à compter avec lui.

Ces discours modestes d’Albéroni ne firent nulle impression à Paris ni à Londres ; on étoit très persuadé, parce que lui-même l’avoit dit plusieurs fois, qu’en grandes comme en petites choses il disposoit absolument de la volonté du roi