Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 15.djvu/403

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plus impénétrable secret. Il détestoit la paix d’Utrecht, il soutenoit que le feu roi n’avoit point de pouvoir légitime pour faire tomber comme il avoit fait tout le poids du traité sur le roi, son petit-fils, et que le consentement qu’y avoit donné ce prince n’avoit point été libre, mais forcé par une juste crainte pour le roi son grand-père ; respect si imprimé dans son cœur qu’il lui auroit donné sa femme et ses enfants, s’il les lui eût demandés, avec la même docilité qu’il avoit cédé la Sicile. Il ajoutoit que les souverains étoient toujours mineurs, maîtres par conséquent de se délivrer des violences qu’ils avoient souffertes quand la Providence en faisoit naître les occasions. La cession de la Sicile, citée par Albéroni comme un exemple de la complaisance du roi d’Espagne pour le roi son grand-père, ne fut pas regardée si simplement par l’abbé del Maro, ambassadeur de Sicile à Madrid. Il soupçonnoit depuis longtemps la cour d’Espagne de former des desseins sur ce royaume, et il persista toujours dans sa pensée, quoique l’opinion publique fût que la destination de la flotte fût pour Naples. On disoit même que le dessein étoit d’attaquer cette capitale, sans s’amuser à Gaëte ni à Capoue. On prévoyoit cependant que la France et l’Angleterre ne le souffriroient pas tranquillement, et que, s’il étoit impossible de porter l’Espagne à un accommodement, ces deux puissances prendroient si bien leurs mesures par mer et par terre, qu’elles feroient échouer les projets de l’Espagne. Albéroni auroit bien voulu détruire cette opinion du public en lui laissant croire qu’il y avoit entre la France et l’Espagne une intelligence secrète ; mais il ne put le tromper. Il réussit mieux à lui cacher son véritable projet ; en sorte que bien des gens crurent qu’il pourroit tourner ses armes contre le Portugal, autant que les porter en Italie. Albéroni cependant vantoit la puissance de l’Espagne, qui avoit sur pied quatre-vingt mille hommes, une bonne marine, ses finances en bon état, et continuoit ses déclamations et ses péroraisons contre les propositions