Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 15.djvu/407

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douces, de persuader Cellamare, puis par les menaces en ne se contraignant plus. Ce manège fut inutile. Cellamare savoit trop bien que ce seroit se perdre auprès d’Albéroni que montrer la moindre inclination à la paix ; il n’avoit songé qu’à lui plaire dès le commencement de la fortune de ce premier ministre, il n’avoit garde de ne pas continuer. Il y étoit d’autant plus circonspect qu’il craignoit toujours de voir retomber sur lui la haine implacable d’Albéroni contre son oncle le cardinal del Giudice, à qui il ne cessoit de chercher des raisons et des prétextes de lui faire sentir des marques publiques de l’indignation qu’il inspiroit pour lui au roi d’Espagne. Il accusoit Giudice d’entretenir à Madrid des correspondances séditieuses et criminelles. On avoit même emprisonné quelques particuliers sous ce prétexte. Albéroni se plaignit à Cellamare que son oncle étoit incorrigible, et lui manda d’un ton d’amitié qu’il avoit fallu, du temps que Giudice étoit à Madrid, les bons offices de quelqu’un qu’il ne vouloit pas nommer, et la bonté des maîtres pour les empêcher de prendre contre lui des résolutions violentes. Leurs Majestés Catholiques, continuoit-il, étoient irritées de son opiniâtreté à différer d’obéir à leurs [ordres] d’ôter à Rome les armes d’Espagne de dessus la porte de son palais ; il en fit craindre les suites à Cellamare, et lui conseilla d’avertir son oncle de ne pas s’exposer plus longtemps à l’insulte de les voir arracher avec violence ; il n’en, falloit pas tant pour intimider Cellamare.

Le courroux d’Albéroni étoit d’autant plus à craindre que tout le monde le regardoit comme le maître absolu et unique de l’Espagne. Il laissoit au roi le seul extérieur de sa dignité royale, et sous son nom et sans lui disposoit absolument des affaires. Soir et matin le cardinal lui présentoit tous les jours une liasse de papiers qui demandoient sa signature. Quelquefois il disoit en peu de mots la substance de quelques affaires principales, mais jamais il n’entroit dans le détail, et jamais il n’en faisoit de lecture. Après un tel compte si