Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 15.djvu/443

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accompagnée d’autant d’artifice, pour détourner le mal qu’ils avoient à craindre ; et pour éviter le coup qu’il étoit aisé de leur porter ; car ils faisoient voir des pensées de paix, ils sollicitoient la France et l’Angleterre de s’entremettre pour un accommodement ; et la seule vue de la cour de Vienne étoit, disoient-ils, de lier les mains au roi d’Espagne par cet artifice, et d’empêcher les entreprises que vraisemblablement il méditoit, et qu’il pouvoit aisément exécuter en Italie par les troupes qu’il avoit en Sardaigne. L’empereur n’avoit pas fait encore la paix avec les Turcs, par conséquent il étoit trop foible pour défendre les États qu’il possédoit en Italie, ses forces principales étant occupées en Hongrie. Il vouloit donc par de feintes négociations gagner le temps de la paix, et se déployer après en force sur l’Italie. Il reprochoit à l’empereur que l’avidité de conserver et d’étendre ses injustes usurpations sur l’Italie l’engageoit à offrir aux Turcs de leur céder Belgrade, et d’aimer mieux en obtenir une paix honteuse dans le cours de ses victoires, qu’à tenir plus longtemps ses troupes éloignées du lieu où il aimoit mieux les employer.

Albéroni faisoit de temps en temps des réflexions sur l’aveuglement général et l’indolence fatale de tant de princes. Il en exceptoit le roi d’Espagne. Il prétendoit qu’avec une bonne armée et de bonnes flottes il demeureroit tranquillement chez lui, simple spectateur des maux que la guerre causeroit aux autres nations ; que, s’il arrivoit contre toute apparence, qu’on vît de telles révolutions que ce prince fût contraint de céder à la force, il auroit toujours sa ressource, et que, au pis aller, il se retireroit sur son fumier (en France), résolution qui pourroit un jour faire connoître à certaines gens (M. le duc d’Orléans) que c’étoit s’égarer sur leurs propres intérêts que d’empêcher Sa Majesté Catholique de porter hors de son continent des troupes et de l’argent pour employer l’un et l’autre sur les frontières de France. Enfin, il disoit plus clairement que le régent se repentiroit