Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 15.djvu/446

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un prince qui lui tenoit lieu de père. Albéroni plaignit Nancré, et dit qu’il étoit malheureux qu’un homme d’honneur et d’esprit comme lui fût chargé d’une si mauvaise commission ; que, si le régent eût jeté plus tôt les yeux sur lui, et que dès l’année précédente il l’eût envoyé en Espagne au lieu de Louville, Son Altesse Royale ne se trouveroit pas en des engagements dont les suites et le dénouement ne tourneroient peut-être à l’avantage ni de la France ni de l’Espagne. Albéroni prétendit que Nancré avoit représenté l’état de la France si malheureux qu’à peine elle pourroit mettre en cas de guerre deux mille hommes en mouvement. Il avoit répondu qu’il trouvoit une contradiction manifeste entre cet état de faiblesse et les engagements que le régent avoit pris avec l’Angleterre, puisque certainement il se trouveroit obligé à mettre plus de deux mille hommes en mouvement s’il vouloit tenir sa promesse. Le roi d’Espagne, dans l’audience qu’il donna à Nancré, lui répondit qu’il examineroit les propositions qu’il avoit faites. L’intention d’Albéroni étoit de prendre du temps pour être instruit des réponses de l’empereur, avant que d’en rendre une positive de la part du roi d’Espagne.

Le colonel Stanhope étoit encore à Madrid, chargé des affaires et des ordres du roi d’Angleterre. Nancré et lui agissant pour la même cause agirent aussi d’un parfoit concert, et Albéroni leur répondit également à tous deux. Stanhope lui demanda si le roi d’Espagne enverroit des troupes en Italie, et s’il exerceroit des actes d’hostilité pendant qu’on traitoit actuellement la paix. Le colonel vouloit obtenir une promesse de cessation d’armes de l’Espagne pendant la négociation. Le cardinal parut choqué du discours que le colonel lui tenoit entre ses dents. Il répondit que Sa Majesté Catholique feroit passer huit mille hommes en Sardaigne, tant pour se défendre contre les entreprises des Allemands, que, parce que l’empereur envoyoit lui-même continuellement des troupes dans l’État de Milan et dans le royaume de