Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 15.djvu/455

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jusqu’à dire à l’ambassadeur de Portugal, que ce ne seroit pas le premier traité rompu aussitôt que conclu. Toutefois il affectoit de ménager Nancré ; il avoit avec lui de longues conférences tête à tête ; l’accueil que Nancré recevoit de la cour étoit très distingué. Enfin, à juger par les démarches extérieures, on pouvoit penser que cette négociation particulière étoit agréable au roi d’Espagne et à son ministre. Bien des gens même soupçonnèrent qu’il y avoit peut-être quelque intelligence secrète entre les deux cours, que celle d’Angleterre ignoroit et dont elle seroit la dupe. On s’épuisoit en raisonnements ; on jugeoit bien, par l’empressement de tant de préparatifs de guerre, que l’Espagne rejetteroit le traité ; mais on ne pouvoit se figurer qu’elle voulût faire la guerre sans alliés, et on se persuadoit qu’elle étoit assurée de la France ou du roi de Sicile, parce que nulle autre alliance ne lui paraissoit si naturelle. Le roi de Sicile venoit encore d’envoyer depuis peu le président Lascaris à Madrid, quoiqu’il y eût l’abbé del Maro pour ambassadeur ordinaire. On ne doutoit donc point de quelque liaison secrète, ou déjà prise, ou prête à prendre avec lui. Mais ces raisonnements étoient vains, l’Espagne étoit véritablement sans pas un allié. Son tout-puissant ministre déploroit inutilement l’aveuglement de toute l’Europe, de la France surtout, qui manquoit selon lui la plus belle occasion du monde, et la plus facile, de mettre des bornes à la puissance de l’empereur, et de chasser pour toujours les Allemands d’Italie. À l’égard du roi de Sicile, quoiqu’il comptât peu sur l’envoi de Lascaris, et qu’il ne doutât point que ce prince ne traitât avec le ministre arrivé de Vienne à Turin, il avoit une telle opinion de l’infidélité de la Savoie, qu’il ne doutoit pas que l’empereur n’en fût trompé si la France vouloit s’unir contre lui à l’Espagne. Malgré toute l’affectation de fermeté et de tout espérer de la guerre, Albéroni éprouvoit de grandes agitations intérieures sur l’incertitude des succès où il alloit se livrer. Il avouoit que, le roi d’Espagne étant seul, l’entreprise étoit fort difficile ;