Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 15.djvu/471

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Hougue, où ils demeurèrent fort longtemps à considérer ce triste spectacle.

« Le lendemain, à huit heures du matin, les ennemis revinrent avec la marée du côté de la Hougue, où étoient les six autres vaisseaux échoués sous le canon du fort ; ils y envoyèrent plusieurs chaloupes qui les abordèrent et les brûlèrent avec la même facilité qu’ils avoient trouvée la veille pour les six premiers, nonobstant le feu du canon du fort, et celui d’une batterie que M. le chevalier de Gassion avoir fait dresser à barbette [1], qui seule produisit de l’effet, ayant écarté quelques chaloupes dont elle tua plusieurs hommes.

« Lorsque les ennemis eurent mis le feu à ces six vaisseaux, ils eurent l’audace d’avancer dans une espèce de havre où il y avoir vingt bâtiments marchands, deux frégates légères, un yacht et un grand nombre de chaloupes, tous échoués près de terre, et brûlèrent huit vaisseaux marchands, entrèrent dans une gribane et un autre bâtiment, qu’ils eurent la liberté et le loisir d’appareiller et d’emmener avec eux en criant : Vive le roi ! et, sans la mer qui se retiroit, ils auroient brûlé ou enlevé le reste. La première expédition ne leur avoit pas coûté un homme ; il y en a eu peu de tués ou blessés en celle-ci, quoique les ennemis se soient approchés si près du rivage, qui étoit bordé de mousquetaires, que le cheval du bailli de Montebourg, qui étoit près du roi d’Angleterre, eut la jambe cassée d’un coup de mousquet tiré des chaloupes anglaises. Elles s’étoient fait suivre par deux brûlots qui, pour s’être trop avancés, échouèrent sur des pêcheries, et les ennemis y mirent le feu en se retirant.

« Il n’y a pas lieu de s’étonner que cette seconde entreprise ait si bien réussi pour eux ; il étoit trop tard, après les premiers vaisseaux brûlés, de prendre des précautions pour sauver les autres, la mer ayant été basse pendant la nuit qui fut l’intervalle des deux actions, et par conséquent il n’auroit pas été possible de se servir de nos frégates et de nos chaloupes qui étoient échouées.

« Mais voici la grande faute que l’on a faite et qui a causé tout le mal : c’est de n’avoir pas pris, dès le 31 mai au soir, que nos vaisseaux arrivèrent, la résolution de les faire échouer [2]. »

On adopta trop tard, comme le prouve le même Journal, les mesures nécessaires pour fortifier la côte de Normandie. Louvois n’étoit plus là pour s’opposer aux projets de Vauban, et l’on songea à les mettre à exécution en 1694. « Au mois de mai 1694, dit Foucault [3], M. de Vauban est venu à la Hougue, dont il a visité les fortifications.

  1. Espèce de plate-forme sans épaulement, d’où le canon tire à couvert.
  2. Cf. les Mémoires du marquis de Villette, qui exprime la même opinion.
  3. Journal manuscrit, fol. 87 recto.