Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 15.djvu/470

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vaisseau qu’il commandoit étoit marchand ou corsaire, il le feroit échouer, mais que, s’agissant des vaisseaux du roi, il croyoit la gloire de Sa Majesté intéressée à les défendre jusques à l’extrémité, le roi d’Angleterre et le maréchal de Bellefonds furent sans balancer de ce sentiment, et il fut résolu que nos vaisseaux demeureroient mouillés et attendroient les ennemis. MM. de Tessé, lieutenant général, Gassion et Sepville, maréchaux de camp, mylord Melford, MM. de Bonrepos et Foucault, furent présents à cette délibération ; et MM. de Tourville, Anfreville et Villette retournèrent chacun à son bord pour donner ordre à tout. M. de Foucault y fut avec eux, et entra dans le vaisseau de M. de Villette pour savoir si lui ou les autres capitaines avoient besoin de quelque chose. On lui demanda de la poudre, la plupart des vaisseaux n’en ayant pas suffisamment, et même celle qu’ils avoient eue à Brest étant trop foible, ne poussant pas le boulet de moitié si loin que celle des ennemis. Au surplus, le vaisseau de M. de Villette étoit en fort bon état, et on assura ledit sieur Foucault qu’aux ancres près, les autres étoient de même.

« On envoya en diligence chercher toute la poudre qui étoit dans les magasins de Valogne et de Carentan ; mais elle ne servit de rien ; car la résolution qui avoit été prise le matin de se défendre à l’ancre, fut changée le soir par M. le maréchal de Bellefonds en celle de faire échouer les vaisseaux [1] ; et [celle-ci] ne fut néanmoins exécutée que le lendemain, 2 juin, à la pointe du jour, avec beaucoup de précipitation, de désordre et d’épouvante, les matelots ne songeant plus qu’à quitter les vaisseaux et à en tirer tout ce qu’ils purent, depuis la nuit du dimanche 1er juin jusques au lendemain sept heures du soir, que les ennemis, qui n’avoient fait que rôder autour de nos vaisseaux sans en approcher à la portée du canon, pendant qu’ils les avoient vus à flot, envoyèrent des chaloupes sonder et reconnoître l’état où ils étoient.

« Voyant qu’il n’avoit été pris aucune précaution pour en défendre l’approche, ils firent avancer avec la marée une chaloupe qui vint mettre le feu au vaisseau de M. de Sepville, qui étoit le plus avancé en mer et entièrement sur le côté. D’autres chaloupes suivirent cette première avec un brûlot, et vinrent brûler les cinq autres vaisseaux qui étoient échoués sous l’île de Tatiou. On tira, à la vérité, plusieurs coups de canon du fort sur ces chaloupes, mais ce fut sans effet, de même que les coups de mousquet que nos soldats tirèrent du rivage, et les ennemis ramenèrent leur brûlot n’ayant pas été obligés de s’en servir. Tout cela se passa à la vue du roi d’Angleterre et de M. le maréchal de Bellefonds, qui étoient au lieu de Saint-Waast, près la

  1. Voy. le motif de ce changement de résolution dans les Mémoires du marquis de Villette, p. 134-135.