Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 15.djvu/96

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l’Espagne, à la plupart que son nonce étoit livré à Albéroni. Cette dernière opinion régnoit à Rome, d’où le nonce recevoit les reproches les plus durs.

Il étoit trop difficile au premier ministre d’imposer au monde sur les sentiments de l’Angleterre et de la Hollande à l’égard de son entreprise. Quoique sans alliés, il vouloit pallier cette vérité, espérant que [ce que] le roi de Suède pensoit là-dessus étoit moins démêlé. Il essaya d’en profiter pour laisser croire que ce prince étoit de concert avec l’Espagne.

Pour la France, il étoit évident qu’elle ne vouloit point de guerre, et qu’elle ne prendroit point de part à celle que l’Espagne alloit faire. Mais on laissoit entendre avec succès qu’elle ne seroit pas fâchée de voir les principales puissances en guerre entre elles, pour avoir le temps de remédier à ses désordres domestiques.

Albéroni fut ravi du passage de Ragotzi en Turquie. Il lui promit un vaisseau pour en faire le trajet, s’il n’en pouvoit obtenir un en France, et lui fit espérer des secours s’il en avoit besoin dans la suite. Cette négociation passa fort secrètement par Cellamare, qui étoit d’autant plus attentif à plaire à Albéroni que ce cardinal étoit irrité au dernier point de la manière dont Giudice avoit parlé au consistoire de sa promotion. Il faisoit de son ressentiment celui de Leurs Majestés Catholiques, vouloit persuader que la conduite de ce cardinal étoit également offensante pour elles et pour le pape même, protestoit qu’elle auroit perdu Cellamare si son amitié personnelle pour lui n’en avoit détourné le coup. Le prélat Giudice, frère de Cellamare, avoit écrit avec toute la bassesse possible à Albéroni, qui résolut de faire tomber toute sa colère sur le cardinal leur oncle. Le roi d’Espagne manda donc à Acquaviva qu’il regardoit désormais ce cardinal comme livré à l’empereur, et travaillant à la négociation pour assurer la possession de la Toscane à l’empereur, et un État souverain en Toscane aux neveux du pape ; qu’il lui