Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1858, octavo, tome 17.djvu/178

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qui le rendit public, qu’il avoit quatre lettres au cardinal Albéroni du duc de Richelieu [1], dont trois étoient signées de lui, qu’il s’engageoit à livrer Bayonne, où son régiment et celui de Saillant étoient en garnison, pour quoi Saillant, qui étoit du complot, avoit été mis à la Bastille, et que le marché du duc de Richelieu étoit d’avoir le régiment des gardes. Le rare est que, quatre jours après ce récit public de M. le duc d’Orléans, auquel il ajouta que, si M. de Richelieu avoit quatre têtes, il avoit dans sa poche de quoi les faire couper toutes quatre, on donna à M. de Richelieu un de ses valets de chambre, des livres, un trictrac et une basse de viole, qu’il demanda. On se moqua dans le monde avec raison de la belle idée de deux jeunes colonels qui se crurent assez maîtres de leurs régiments, et leurs régiments assez maîtres de Bayonne, pour se figurer de pouvoir livrer cette place [2]. Qui m’auroit dit que, moins de dix ans après, je serois chevalier de l’ordre, en même promotion de huit que les deux fils du duc du Maine en princes du sang, M. de Richelieu, Cellamare et d’Alègre, m’auroit bien étonné [3].

  1. Le marquis d’Argenson écrit à la date de mars 1719, dans ses Mémoires manuscrits : « Le duc de Richelieu était véritablement coupable, quand on le fit mettre à la Bastille, environ ce temps-ci. Mon père (le garde des sceaux) fut cause de son arrêt ; il s’en prit à lui et nous en voulait bien du mal. Cependant il est certain que ce duc avait des liaisons avec l’Espagne. » Le marquis d’Argenson raconte ensuite une anecdote qui se trouve dans les Mémoires imprimés, p. 192. (Mém. du marquis d’Argenson, I vol. in-8, 1825.)
  2. L’abbé Dubois écrivait au maréchal de Berwick, le 1er avril 1719 : « Vous aurez été surpris sans doute d’apprendre, par le courrier que M. Le Blanc a dût vous dépêcher hier, que M. le duc de Richelieu devait livrer Bayonne aux Espagnols, et qu’il a été mis à la Bastille, où il n’est pas disconvenu de son intelligence avec Albéroni. » Le maréchal lui répondit le 17 avril : « Je n’ai point été surpris de l’aventure de M. de Richelieu, dont la conduite, jusqu’à présent, n’a pas été d’un homme sensé. »
  3. La promotion de chevaliers de l’ordre, à laquelle Saint-Simon fait allusion, eut lieu le 1er janvier 1728 ; elle comprit les huit personnages suivants Le prince de Dombes, le comte d’Eu, les ducs de Richelieu, de Saint-Simon, de Giovenazzo (Cellamare), grand écuyer de la reine d’Espagne, les maréchaux de Roquelaure et d’Aligre, le comte de Grammont.