Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1858, octavo, tome 17.djvu/257

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mêmes raisons, les mêmes soupçons, le même naturel de M. le duc d’Orléans le devoient éloigner de me parler du remboursement du parlement, s’il n’y avoit été poussé d’ailleurs. Mais si j’étois celui contre lequel, à son sens, il devoit être le plus en garde là-dessus, c’étoit, à ce qu’il pouvoit sembler aux intéressés, un coup de partie d’engager M. le duc d’Orléans à consulter un homme qu’ils comptoient être si fait exprès pour seconder leurs désirs, et qui rassembloit en soi tout ce qu’il falloit pour les faire réussir pleinement et avec promptitude.

Quoi qu’il en fût, une après-dînée que je travaillois à mon ordinaire tête à tête avec M. le duc d’Orléans, il se mit avec moi sur le parlement sans que rien n’y eût donné lieu, et à me conter et à m’expliquer les entraves que cette compagnie lui donnoit sans cesse, le peu de compte qu’elle faisoit publiquement du lit de justice des Tuileries, le peu de fruit qu’il en tiroit, puis tout de suite me proposa l’expédient qu’on lui avoit trouvé, et en même temps tira de sa poche un mémoire bien raisonné du projet, dont jusqu’à ce moment il ne m’étoit pas revenu la moindre chose. J’entrai fort dans ses plaintes de la conduite du parlement, et dans les raisons de le ranger à son devoir à l’égard de l’autorité royale. Je n’oubliai pas d’alléguer les causes personnelles de mon désir de le voir mortifier et remis dans les bornes où il devoit être, et les avantages que ma dignité ne pouvoit manquer de trouver dans l’exécution de ce projet ; mais j’ajoutai tout de suite que de première vue il me paraissoit d’un côté bien injuste, et de l’autre bien hardi, et que ce n’étoit pas là matière à prendre une résolution sans beaucoup de mûre délibération, et sans en avoir bien reconnu et pesé toutes les grandes suites et l’importance très étendue. Il ne m’en laissa pas dire davantage, et voulut lire le mémoire d’abord de suite et sans interruption, malgré sa mauvaise vue, puis une seconde fois en s’arrêtant et raisonnant dessus.