Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1858, octavo, tome 17.djvu/258

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Cette lecture première me confirma dans l’éloignement que j’avois conçu du projet dès sa première proposition, et que je n’avois pu tout à fait cacher. Quand ce fut à la seconde lecture je raisonnai, et mes raisonnements alloient toujours à la réfutation. M. le duc d’Orléans, surpris au dernier point de m’y trouver contraire, mais déjà entraîné et enchanté du projet, ne fut pas content de ma résistance. Il me témoigna l’un et l’autre ; il n’oublia rien pour me piquer, et me ramener par l’intérêt de ma dignité, me dit qu’il falloit donc laisser le parlement le maître, ou en venir à bout par l’unique moyen qu’on en avoit, puis se répandit sur l’odieux et les inconvénients infinis de la vénalité dès charges [1], sur le bonheur public que ce changement apporteroit, et sur les acclamations qu’on en devoit attendre.

Le voyant si prévenu, et reployer le mémoire pour le remettre dans sa poche, je sentis tout le danger où on l’alloit embarquer. Je lui dis donc qu’encore qu’il y eût déjà fort longtemps que nous en étions là-dessus, cette matière étoit pour ou contre trop importante pour n’être pas examinée plus mûrement ; que j’avois dit ce qui s’étoit présenté d’abord à mon esprit ; qu’en y pensant davantage, et faisant tout seul plus de réflexion sur ce mémoire, et avec plus de loisir, peut-être que je changerois d’avis ; que je le souhaitois passionnément pour lui complaire, pour l’intérêt de ma dignité, pour l’extrême plaisir de ma vengeance personnelle, mais qu’il ne devoit pas avoir oublié aussi ce que je lui avois protesté en plus d’une occasion, et qu’il m’avoit vu pratiquer si fermement et si opiniâtrement, quoique presque si inutilement sur celle du changement de main de l’éducation du roi, et sur la réduction des bâtards au rang et ancienneté de leurs pairies ; que je le lui répétois en celle-ci, que j’aimois incomparablement mieux ma dignité que ma fortune, mais que l’une et l’autre ne me seroient

  1. Voy. notes à la fin du volume.