Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1858, octavo, tome 17.djvu/324

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c’étoit un bon gentilhomme castillan que sa rare piété avoit fait choisir à Philippe V au commencement de son règne pour l’évêché de Murcie. Il s’y conduisit comme on s’y étoit attendu, et y fut en exemple à toute l’Espagne. Quelques années après, la guerre y fut portée jusque dans ses entrailles. Le roi et la reine, contraints d’abandonner Madrid sans argent, sans subsistance pour ce qui leur restoit de troupes, sans espérance d’en pouvoir lever, avec fort peu de sauver aucune pièce de la monarchie. Dans cette extrémité, qui fit si grandement éclater l’attachement et la fidélité espagnole à jamais mémorable, l’évêque de Murcie se signala entre les seigneurs et les prélats. Il fournit seul, gratuitement, deux mois de subsistance à l’armée, ou du sien qu’il épuisa et engagea, ou du fonds de ses diocésains qu’il toucha par l’ardeur de ses prédications, et encore plus par son exemple ; et il donna, de plus, de quoi payer aux troupes plusieurs prêts qui leur étoient dus. Le sort des armes et les efforts de cette héroïque nation ayant raffermi le trône et rendu la couronne à Philippe V, l’évêque de Murcie ne crut pas qu’il lui fût rien dû ; il compta n’avoir fait que remplir son devoir, ne songea ni à se montrer ni à faire parler de lui ; demeura, comme il avoit fait auparavant, renfermé dans son diocèse, uniquement occupé du soin de son salut et de celui de ses ouailles, sans que la cour aussi parût penser à lui. L’épuisement où tant et de si cruelles secousses avoient mis les finances fit chercher les moyens de les réparer un peu. La Crusade parut d’un secours plus prompt et plus net, on l’augmenta fort d’un trait de plume. C’est une imposition sur le clergé que les papes, dominant en Espagne ainsi que dans tous les pays d’obédience [1], et surtout dans ceux d’inquisition, ont accordée souvent aux rois d’Espagne

  1. Les pays d’obédience étaient ceux où le pape nommait aux bénéfices et exerçait une juridiction plus étendue que dans les autres. L’Allemagne était un pays d’obédience. Il y avait aussi dans l’ancienne France plusieurs provinces qui étaient pays d’obédience et ne reconnaissaient point le concordat de François Ier. Telles étaient la Bretagne, la Provence et la Lorraine. Le pape pouvait pendant huit mois de l’année y nommer aux bénéfices vacants.