Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1858, octavo, tome 17.djvu/35

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

quoique enrageant, à l’hôtel de Condé, où les souples respects d’une part, et les faux compliments de l’autre, donnèrent une autre sorte de spectacle. Dès le lendemain, le roi s’alla promener au Cours où M. le Duc l’accompagna, au lieu du duc du Maine, et entra publiquement en fonction.

Mme d’Alègre ne tarda pas à me venir voir. Elle m’avoua enfin, parmi toutes ses enveloppes ordinaires, ses phrases suspendues et souvent coupées sans les achever, que ses avis si souvent réitérés et si fort hiéroglyphiques, n’avoient tendu qu’à m’avertir, et le régent par moi, de la dangereuse cabale qui se brassoit de longue main, qui se fortifioit tous les jours, et qu’il étoit grand temps d’abattre par le grand coup qui venoit d’être frappé ; en même temps elle m’avertit, pour le bien inculquer au régent, de ne se pas trop reposer sur une exécution si importante ; qu’elle connoissoit les allures des gens à qui elle avoit affaire ; que, quelque étourdis qu’ils fussent d’un coup auquel ils ne s’attendoient pas de la conduite et de la faiblesse du régent, ils n’en seroient que plus enragés et plus unis ; que ce coup même leur apprenoit à changer leur sécurité, leur lenteur, leur négligence en mesures plus justes, plus serrées, plus fortes, pour atteindre au grand but qu’ils s’étoient proposé, de profiter de plus en plus des dispositions de l’Espagne, irritée au dernier point du dernier traité avec l’empereur et les puissances maritimes, et du dépit général qui s’en répandoit par toute la France. Je ne manquai pas d’en rendre un compte exact à M. le duc d’Orléans, et d’y ajouter mes réflexions. Je trouvai un homme si à son aise d’être au lendemain de cette grande crise, si étouffé encore d’un tour de force aussi contraire à son naturel, qu’il s’y étoit replongé tout à fait comme un homme qui s’étend dans son lit en arrivant d’une grande course, et qui ne veut pas ouïr parler d’autre chose que de repos. Il me chargea de bien remercier Mme d’Alègre et m’assura en même temps qu’après une telle touche il n’avoit rien à craindre de personne, sans que je le pusse jamais tirer pour