Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1858, octavo, tome 17.djvu/369

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Travaillant un jour à mon ordinaire tout à la fin de cette année avec M. le duc d’Orléans, il m’interrompit un quart d’heure au plus après avoir commencé, pour me faire ses plaintes du maréchal de Villeroy. Cela lui arrivoit quelquefois ; mais de là s’échauffant en discours de plus forts en plus forts, il se leva tout d’un coup, et me dit que cela n’étoit plus tenable, car ce fut son expression ; qu’il vouloit et alloit le chasser, et tout de suite, que je fusse gouverneur du roi. Ma surprise fut extrême, mais je ne perdis pas le jugement. Je me mis à sourire et répondis doucement qu’il n’y pensoit pas. « Comment, reprit-il, j’y pense très bien, et si bien que je veux que cela soit, et ne pas différer ce qui devroit être fait il y a longtemps. Qu’est-ce donc que vous trouvez à cela ? » Se mit à se promener ou plutôt à toupiller dans ce petit cabinet d’hiver. Alors je lui demandai s’il y avoit bien mûrement pensé. Là-dessus il m’étala toutes ses raisons pour ôter le maréchal et toutes celles de me mettre en sa place, trop flatteuses pour les rapporter ici. Je le laissai dire tant qu’il voulut, puis je parlai à mon tour sans vouloir être interrompu. Je convins de tout sur le maréchal de Villeroy, parce qu’en effet il n’y avoit pas moyen de disconvenir d’aucune de ses plaintes, de ses raisons et de ses conséquences ; mais je m’opposai fortement à l’ôter. Je fis d’abord souvenir M. le duc d’Orléans de toutes les raisons que je lui avois alléguées pour le détourner d’ôter à M. du Maine la surintendance de l’éducation du roi, combien lui-même les avoit trouvées sages et bonnes, combien il en étoit demeuré persuadé, et qu’il n’avoit cédé qu’à la force et à la constante persécution de M. le Duc. Je lui distinguai bien les raisons communes avec ce qui regardoit M. le Duc d’une part, le parlement de l’autre, d’avec celles qui ne regardoient que le duc du Maine et lui-même, le danger d’intervertir la disposition du feu roi à l’égard d’une personne aussi chère et précieuse que celle de son successeur. De là, j’entrai en comparaison des personnages ; je lui fis sentir la différence