Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1858, octavo, tome 18.djvu/100

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M. le duc d’Orléans, qui de goût et depuis par nécessité vivoit de ruses et de finesses, crut avoir fait merveilles d’avoir chargé M. le Duc des passeports de Law, et d’avoir caché ce qui se devoit traiter dans ce conseil de régence. Il vouloit affubler M. le Duc de la retraite de Law hors du royaume, et le prendre au dépourvu en ce conseil, pour lui ôter les moyens de contredire. Il en fut cruellement la dupe ; la matière touchoit à M. le Duc d’un si grand intérêt, qu’il étoit par lui, et par d’autres principaux intéressés, continuellement alerte sur ce qui devoit se proposer, et il arriva qu’il fut assez tôt averti pour bien apprendre sa leçon. La hardiesse et la fermeté ne lui manquoient pas ; il n’avoit rien à craindre, il connoissoit d’ailleurs par une expérience continuelle l’extrême faiblesse de M. le duc d’Orléans, il en voulut profiter, et puisque tout ce mystère d’iniquité se devoit enfin révéler en présence du roi et du conseil (et nombreux comme il l’étoit c’étoit dire au public), il se proposa de ne garder aucun ménagement pour tirer son épingle du jeu, faire retomber tout sur M. le duc d’Orléans, et se montrer soi comme le beau personnage, piqué de plus du secret qui lui avoit été fait de ce qui se devoit proposer en ce conseil, plus encore peut-être de la proposition même si contraire à la compagnie, et au grand intérêt qu’il y avoit ; piqué de plus de ce que M. le duc d’Orléans avoit adroitement fait passer à Law ses passeports par lui, pour donner lieu au monde de se persuader que M. le Duc les avoit demandés, conséquemment que c’étoit lui qui avoit obtenu de M. le duc d’Orléans sa sortie du royaume. Aussi fut-ce là-dessus qu’il pressa impitoyablement M. le duc d’Orléans, qu’il l’interpella, et qu’il le força d’avouer qu’il ne lui avoit jamais demandé cette sortie, qu’il protesta que, s’il en avoit été consulté, il n’en auroit jamais été d’avis, et qu’il reprocha si durement à M. le duc d’Orléans d’avoir laissé sortir Law du royaume, après avoir fait de son chef pour six cents millions de billets de banque contre les défenses si expresses