Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1858, octavo, tome 18.djvu/266

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me dit que M. de Grimaldo et Sartine n’avoient rien oublié pour rompre, au moins différer ce voyage, mais que l’impatience avoit été nourrie et augmentée par Maulevrier, enragé de voir arriver un ambassadeur de naissance et de dignité personnelle, et qui n’avoit pu s’empêcher de dire qu’il l’auroit plus patiemment souffert si c’eût été le duc de Villeroy, La Feuillade ou le prince de Rohan. Ce seigneur Andrault, si délicat pour soi, ne cherchoit pas les amis de M. le duc d’Orléans par le désir de ces messieurs ; et, outre qu’il s’oublioit bien lui-même, il perdoit promptement la mémoire qu’il avoit été laissé à mon choix de lui donner ou non le caractère d’ambassadeur, que par conséquent il me devoit, et qui en cette occasion surtout l’honoroit fort au delà de ses espérances. Toutefois je résolus de n’en faire aucun semblant et de vivre avec lui comme si j’eusse ignoré ce que je venois d’apprendre ; mais je le mandai au cardinal Dubois.

Je partis donc de Burgos le 19 avec mon second fils, le comte de Lorges, M. de Céreste (ces deux derniers ne vinrent qu’un peu après ensemble), l’abbé de Saint-Simon, son frère, le major de son régiment et très peu de domestiques. Nous trouvâmes peu de relais et mal établis ; marchâmes jour et nuit, sans nous coucher, jusqu’à Madrid, nous servant des voitures des corrégidors [1], où nous pûmes, tellement que je fus obligé de faire les dernières douze lieues à cheval en poste, qui en valent le double d’ici. Nous arrivâmes de la sorte à Madrid le vendredi 21, à onze heures du soir. Nous trouvâmes à l’entrée de la ville, qui n’a ni murailles, ni portes, ni barrières, ni faubourgs, des gens en garde qui demandèrent qui nous étions et d’où nous venions, et qu’on y avoit mis exprès pour être avertis du moment de mon arrivée. Comme j’étois fort fatigué d’avoir toujours

  1. Ce nom, qui signifie correcteur, désignait les magistrats dans les villes, où il n’y avait ni gouverneur, ni tribunal royal. Les corrégidors étaient à la fois juges, chefs du corps municipal et chargés de l’administration financière et de la police.