Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1858, octavo, tome 18.djvu/315

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patenôtres qu’elle laissoit tomber à mesure, tant que le bal dura. Ce que je trouvai aussi de très fâcheux est que nul homme ne s’y assit excepté les six charges que j’ai nommées, Maulevrier [et] moi, pas même les danseurs, en sorte qu’il n’y avoit pas un seul siège dans tout ce salon, même derrière tout le monde, outre ceux que j’ai spécifiés.

La reine, qui ne peut danser de danse sérieuse qu’avec les infants, ouvrit le bal avec le roi ; la danse de ce prince qu’il aimoit fort fut pour moi un grand sujet de surprise ; en dansant ce fut tout un autre homme, redressé du dos et des genoux, de la justesse, en vérité de la grâce. Pour la reine qui prit après le prince des Asturies, qui étoient tous deux extrêmement bien faits, je n’ai vu qui que ce soit danser mieux en France, en hommes ni en femmes, peu en approcher, moins encore aussi bien, les deux autres infants fort joliment pour leur âge.

En Espagne, hommes et femmes portent toutes sortes de couleurs à tout âge, et danse qui veut jusqu’à plus de soixante ans, sans le plus léger ridicule, même sans que cela paroisse extraordinaire, et j’en vis plusieurs exemples d’hommes et de femmes : le dernier infant prit la princesse de Robecque qui ne s’éloignoit pas de cinquante ans et qui les paraissoit bien.

Elle étoit Croï, fille du comte de Solre, et veuve du prince de Robecque, que le roi d’Espagne avoit fait par la princesse des Ursins grand d’Espagne, chevalier de la Toison et depuis colonel du régiment des gardes wallonnes. La comtesse de Solre qui étoit Bournonville, cousine germaine de la maréchale de Noailles, étant assez mal avec son mari avoit mené sa fille se marier en Espagne et y étoit demeurée avec elle. Mme de Robecque étoit dame du palais de la reine et passoit, ainsi que sa mère, pour être fort bien avec elle. Je les avois fort connues avant qu’elles allassent en Espagne ; et ce fut une des premières visites que je fis ; nous avions autrefois fort dansé ensemble, apparemment qu’elle le dit à la reine.