Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1858, octavo, tome 18.djvu/316

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Aussitôt après avoir dansé avec l’infant, car, étant étrangère, elle n’étoit pas sujette aux règles espagnoles du veuvage, elle traversa toute la longueur du salon, fit une belle révérence à Leurs Majestés Catholiques et vint me dénicher dans ma reculade pour me prendre à danser par une belle révérence en riant ; je la lui rendis en lui disant qu’elle se moquoit de moi ; dispute, galanteries, enfin elle fut à la reine, qui m’appela et qui me dit que le roi et elle vouloient que je dansasse. Je pris la liberté de lui représenter qu’elle vouloit se divertir ; que cet ordre ne pouvoit pas être sérieux ; j’alléguai mon âge, mon emploi, tant d’années que je n’avois dansé, en un mot tout ce qui me fut possible. Tout frit inutile, le roi s’en mêla, tous deux me prièrent, tachèrent de me persuader que je dansois fort bien, enfin commandèrent et de façon qu’il fallut obéir ; je m’en tirai donc comme je pus.

La reine affecta de faire danser des premiers nos témoins françois, excepté l’abbé de Saint-Simon qui n’étoit pas de robe à cela, et dans la suite du bal, deux ou trois officiers des plus distingués des troupes du roi qui étoient venus avec moi.

Une heure après l’ouverture du bal on mena l’infante se coucher. Les contredanses coupèrent souvent les menuets. Le prince des Asturies y menoit toujours la reine ; rarement le roi les dansoit, mais comme aux contredanses on se mêle, et, suivant l’ordre de la contredanse, chacune se trouve danser avec tout ce qui danse, l’un après l’autre, et se retrouve au bout avec son meneur, la reine y dansoit de même avec tout le monde ; j’en esquivai ce que je pus, quoique fort peu ; on peut juger que je n’en savois aucune.

Le bal fini, le marquis de Villagarcias, un des majordomes et un des plus honnêtes et des plus gracieux hommes que j’aie vus, qui a été depuis vice-roi du Pérou, ne voulut jamais me laisser sortir que je ne me fusse reposé dans le lieu des rafraîchissements, où il me fit avaler un verre