Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1858, octavo, tome 18.djvu/32

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Villeroy pesoit rudement à M. le duc d’Orléans dans la place de gouverneur du roi. Il n’y avoit rien qu’il n’eût mis en usage depuis la régence pour se rendre agréable au parlement et au peuple. M. de Beaufort lui avoit tourné la tête. Il crut qu’avec la confiance que le feu roi lui avoit marquée dans les derniers temps de sa vie, ce qu’il pouvoit penser attendre des troupes qu’il avoit si longtemps commandées, se trouvant doyen des maréchaux de France, et le roi entre ses mains, le gouvernement de Lyon, où il étoit de longue main maître absolu et son fils entièrement dans sa dépendance capitaine des gardes du corps, c’étoit de quoi balancer l’autorité du régent et faire en France le premier personnage. Par cette raison il affecta de s’opposer à tous les édits bursaux [1], à Law, aux divers arrangements de finances, à tout ce que le parlement répugnoit à enregistrer. Il rendit, tant qu’il put, la vie dure au duc de Noailles tant que celui-ci eut les finances, quoique encore plus indécent et bas valet du parlement que lui, quoiqu’il ne s’en mêlât que bien superficiellement, ainsi que de toutes autres affaires. On a vu son attachement au duc du Maine, le désespoir qu’il marqua quand l’éducation lui fut ôtée, son engagement et ses frayeurs quand ce bâtard fut arrêté, avec quelle bassesse et quelle importunité pour le roi il en faisoit les honneurs et le montroit aux magistrats à toutes heures qu’ils se présentoient, comme il les distinguoit sur qui que ce put être, l’affectation avec laquelle il faisoit voir le roi au peuple qui s’en étoit pris de passion à proportion qu’il s’étoit pris de haine contre le feu roi, et que les ennemis de M. le duc d’Orléans le décréditoient parmi ce même peuple.

Ce fut aussi de ce dernier article que le maréchal se servit le plus dangereusement. Il portoit sur lui la clef d’une armoire ou il faisoit mettre le pain et le beurre de la Muette

  1. On appelait édits bursaux les édits qui établissaient de nouveaux impôts ou avaient pour but de tirer, par toute espèce de moyens, de l’argent des sujets.