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Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1858, octavo, tome 18.djvu/33

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dont le roi mangeoit, avec le même soin et bien plus d’apparat que le garde des sceaux celle de la cassette qui les renferme, et fit un jour une sortie d’éclat parce que le roi en avoit mangé d’autre, comme si tous les vivres dont il usait nécessairement tous les jours, la viande, le potage, le poisson, les assaisonnements, les légumes, tout ce qui sert aux fruits, l’eau, le vin n’eussent pas été susceptibles des mêmes soupçons. Il fit une autre fois le même vacarme pour les mouchoirs du roi, qu’il gardoit aussi ; comme si ses chemises, ses draps, en un mot, tout son vêtement, ses gants, n’eussent pas été aussi dangereux, que néanmoins il ne pouvoit avoir sous clef et les distribuer lui-même. C’étoit ainsi des superfluités d’impudentes précautions vides de sens, pleines de vues les plus intéressées et les plus noires, qui indignoient les honnêtes gens, qui faisoient rire les autres, mais qui frappoient le peuple et les sots, et qui avoient ce double effet de renouveler sans cesse les dits horribles qu’on entretenoit soigneusement contre M. le duc d’Orléans, et que c’étoit aux soins et à la vigilance d’un gouverneur si fidèle et si attaché qu’on étoit redevable de la conservation du roi et dont dépendoit sa vie. C’est ce qu’il vouloit bien établir dans l’opinion du parlement et du peuple, et peu à peu dans l’esprit du roi, et c’est à quoi il s’en fallut bien peu qu’il ne parvînt parfaitement. C’est ce qui lui attachoit tellement ce peuple, qu’ayant eu tout nouvellement une violente attaque de goutte qu’il avoit toujours fort courtes, le peuple en fut en émoi, et les halles lui députèrent les harengères qui voulurent le voir. On peut juger comment ces ambassadrices furent reçues. Il les combla de caresses et de présents, et il en fut comblé de joie et d’audace, et c’étoit la ce qui avoit ranimé dans M. le duc d’Orléans la volonté et la résolution de l’ôter d’auprès du roi. Le maréchal de Villeroy comptoit encore s’attacher le roi et le public par ces odieuses précautions de manière à se persuader que, quoi qu’il put faire, jamais le régent n’oseroit le chasser, et que, s’il l’entreprenoit,