Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1858, octavo, tome 18.djvu/49

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son lieu propre. M. et Mme de Carignan qui occupoient l’hôtel de Soissons à qui il appartenoit, tiroient à toutes mains de toutes parts. Des profits de cent francs, ce qu’on auroit peine à croire s’il n’étoit très reconnu, ne leur sembloient pas au-dessous d’eux, je ne dis pas pour leurs domestiques, mais pour eux-mêmes, et des gains de millions dont ils avoient tiré plusieurs de ce Mississipi, sans en compter d’autres pris d’ailleurs, ne leur paraissoient pas au-dessus de leur mérite, qu’en effet ils avoient porté au dernier comble dans la science d’acquérir avec toutes les bassesses les plus rampantes, les plus viles, les plus continuelles. Ils gagnèrent en cette translation un grand louage [1], de nouvelles facilités et de nouveaux tributs. Law, leur grand ami, qui avoit logé quelques jours au Palais-Royal, étoit retourné chez lui où il recevoit force visites. Le roi alla voir à diverses reprises les troupes qu’on avoit fait approcher de Paris, après quoi elles furent renvoyées. Celles qui avoient formé un petit camp à Charenton retournèrent au leur de Montargis travailler au canal qu’on y faisoit.

Law avoit obtenu depuis quelque temps par des raisons de commerce que Marseille fut port franc. Cette franchise qui y fit abonder les vaisseaux, surtout les bâtiments du Levant, y apporta la peste faute de précaution, qui dura longtemps, et qui désola Marseille, la Provence, et les provinces

  1. L’avocat Barbier (Journal, août 1720) donne des détails sur le grand louage que le prince de Carignan tira de ses jardins : « Tout autour [de l’hôtel de Soissons], on a fait des loges, toutes égales, propres et peintes, ayant une porte et une croisée avec le numéro au-dessus de la porte. C’est de bois ; il y en à cent trente-huit avec deux entrées, l’une dans la rue de Grenelle, et l’autre dans la rue des Deux-Écus. Des Suisses de la livrée du roi aux portes, et des corps de garde avec une ordonnance du roi pour ne laisser entrer ni artisans, ni laquais, ni ouvriers. Ce sont deux personnes qui ont entrepris cela, peut-être au profit de la banque. Ils donnent cent cinquante mille livres à M. le prince de Carignan ; il leur en coûte encore cent mille livres pour l’accommodement, et chaque loge est louée cinq cents livres par mois. »