Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1858, octavo, tome 18.djvu/7

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Le maréchal de Montesquiou y entra aussi en même temps ; il y fit le trentième.

Mme de Coetquen mourut en Bretagne, où elle s’étoit retirée depuis assez longtemps dans ses terres. Elle étoit Chabot, fille de l’héritière de Rohan, et sœur du duc de Rohan, de la belle et habile Mme de Soubise, et de Mme d’Espinoy, cadette de l’une, aînée de l’autre. La beauté de Mme de Soubise avoit fait son mari prince ; et que ne fit-elle pas ? Mme d’Espinoy jouissoit du tabouret de grâce que le crédit du vieux Charost avoit obtenu, lorsque le prince d’Espinoy épousa sa fille en premières noces. Cela faisoit dire à Mme de Coetquen assez plaisamment qu’elle étoit par terre entre deux tabourets. C’étoit une femme d’esprit, de fort grande mine, avec de la beauté, qui avoit fait du bruit, haute et impérieuse, fort unie a ses sueurs. Elle est célèbre par la passion que M. de Turenne eut pour elle, qui lui arracha le secret du siège de Gand, que le roi n’avoit confié qu’à lui et à Louvois. Mme de Coetquen le laissa échapper à dessein de se parer de son empire sur M. de Turenne, mais à quelqu’un d’assez discret, et qui en sentit assez la conséquence pour qu’il n’allât pas plus loin. Le roi ne laissa pas d’être averti qu’il avoit transpiré. Il le dit à Louvois, qui lui protesta qu’il n’en étoit pas coupable. Le roi envoya quérir M. de Turenne, qui étoit alors aux couteaux tirés avec Louvois. Il eut alors plus de probité que de haine : il rougit et avoua sa faiblesse, et lui en demanda pardon. Le roi, qui n’ignoroit pas quel est l’empire de l’amour, se contenta d’en rire un peu et de s’amuser aux dépens de M. de Turenne et avec lui, de le trouver encore si sensible à son âge. Il le chargea de faire en sorte que Mme de Coetquen fut plus secrète et tâchât de fermer la bouche à qui elle avoit eu l’indiscrétion de parler, car le roi n’apprit que par M. de Turenne que c’étoit par Mme de Coetquen, à qui il avoit confié ce secret, qu’il s’étoit su. Mais heureusement il n’avoit pas été plus loin, et cette aventure ne porta aucun préjudice à cette grande exécution.