Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1858, octavo, tome 19.djvu/161

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

ne ferois que l’opiniâtrer davantage, je me retirai, en le priant du moins d’y penser.

Je retournai le voir le lendemain, et je lui demandai en riant de quelle humeur il étoit ce jour-là. Il me fit mille politesses et mille amitiés, sur lesquelles je pris thème de lui dire qu’il ne me pouvoit arriver rien de plus fâcheux que l’exécution de ce qu’il m’avoit dit la veille ; qu’il connoissoit les fougues du cardinal Dubois ; qu’il avoit vu, par le délai si affecté de m’envoyer la lettre du roi pour l’infante, qu’il avoit eu dessein de me jeter dans l’embarras dont j’avois été forcé de lui faire la confidence, et dont il avoit eu la bonté de me tirer ; qu’il avoit vu encore par la faiblesse de sa lettre à lui, et de celle qu’il avoit faite de M. le duc d’Orléans pour le roi d’Espagne, le peu d’envie qu’il avoit que j’obtinsse les grâces de Leurs. Majestés Catholiques auxquelles lui avoit eu toute la part, et avoit voulu supprimer ces lettres, qui l’étoient demeurées en effet, comme plus nuisibles qu’utiles ; que j’en aurois bien d’autres à lui apprendre pour lui faire voir quel étoit le cardinal Dubois à mon égard ; que si Chavigny n’étoit point écouté, si le roi d’Espagne lui faisoit l’affront de ne vouloir pas permettre que j’eusse l’honneur de le lui présenter, le cardinal, qui pouvoit tout sur M. le duc d’Orléans, feroit qu’il s’en prendroit à moi, l’imputeroit à la jalousie du secret de ce dont Chavigny étoit porteur, publieroit et persuaderoit que je sacrifiois l’honneur du régent et de la France, l’union et la réconciliation si récente des deux cours à ma vanité personnelle, et que traité comme je l’étois en Espagne, on ne pouvoit douter que Chavigny n’y eût été très bien reçu et très bien traité si je l’avois voulu ; que je ne serois pas dans le cabinet de M. le duc d’Orléans pour imposer au cardinal, comme il m’arrivoit souvent, ni pour me défendre ; qu’enfin j’espérois de son amitié à lui, jointe aux autres considérations que je lui avois représentées la veille, qu’il ne voudroit pas me faire échouer au port.

Je lui parlai si bien, ou il avoit si bien réfléchi sur ce refus,