Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1858, octavo, tome 19.djvu/355

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ôter tout embarras s’il ne lui avoit pas confié le secret de l’arrêt du maréchal de Villeroy ; lui en expliquer la nécessité avec d’autant plus de liberté que Fréjus haïssait le maréchal, ses hauteurs, ses jalousies, ses caprices, et dans son âme seroit ravi de son éloignement et de posséder le roi tout à son aise ; le prier de faire entendre au roi les raisons de cette nécessité ; communiquer à Fréjus le choix du duc de Charost ; lui en promettre tout le concert et les égards qu’il en pouvoit désirer ; lui demander de le conseiller et le conduire ; enfin prendre le temps de la joie du roi du retour de Fréjus pour lui apprendre le choix du nouveau gouverneur, et le lui présenter. Tout cela fut convenu et très bien exécuté le lendemain.

Quand le maréchal le sut à Villeroy, il s’emporta d’une étrange manière contre Charost, dont il parla avec le dernier mépris d’avoir accepté sa place, mais surtout contre Fréjus, qu’il n’appeloit plus que traître et scélérat. Après les premiers [moments], qui ne lui permirent que des transports et des fureurs d’autant plus violentes que la tranquillité qu’il apercevoit partout le détrompoit malgré lui de la certitude où son orgueil l’avoit jeté que le parlement, que les halles, que Paris se soulèveroit si on osoit toucher à un personnage aussi important et aussi aimé qu’il se figuroit l’être, après l’avoir été à ses dépens, qu’on n’auroit jamais l’assurance ni les moyens de l’arrêter. Ces vérités, qu’il ne pouvoit plus se dissimuler, succédant si fort tout à coup aux chimères qui faisoient toute sa nourriture et sa vie, le nettoient au désespoir et hors de lui-même. Il s’en prenoit au régent, à son ministre, à ceux qu’ils avoient employés pour l’arrêter, à ceux qui avoient manqué à le défendre, à tout ce qui ne se révoltoit pas pour le faire revenir et faire tête au régent ; à Charost, qui avoit osé lui succéder ; surtout à Fréjus, qui l’avoit trompé, et qui le trahissoit d’une manière si indigne. Fréjus étoit celui contre lequel il étoit le plus irrité. Ses reproches d’ingratitude et de trahison pleuvoient