Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1858, octavo, tome 19.djvu/359

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à le conserver, et qui se sentoit si soulagé du poids du maréchal de Villeroy, ne s’oublia pas à tâcher d’éteindre de si funestes idées, conséquemment à en laisser tomber le criminel venin sur celui qui les avoit inspirées et persuadées. Il en craignoit le retour quand le roi se trouveroit le maître, dont la majorité approchoit : délivré de son joug, il ne vouloit pas y retomber. Il savoit bien que les grands airs, les ironies et les manières d’autorité sur le roi en public lui étoient insupportables, et que le maréchal ne tenoit au roi que par ces affreuses idées de poison. Les détruire, c’étoit laisser le maréchal à nu, et pis que cela, montrer au roi, sans paroître le charger, le criminel intérêt de lui donner ces alarmes, et la fausseté et l’atrocité de l’invention d’une telle calomnie. Ces réflexions, que la santé du roi confirmoit chaque jour, sapoient toute estime, toute reconnoissance, laissoient même la bienséance en liberté de ne rapprocher pas de lui, quand il en seroit le maître, un si noir imposteur et si intéressé. Fréjus sut user de ces moyens pour se mettre pour toujours à l’abri de tout retour du maréchal, et de s’attacher le roi sans réserve : on n’en a que trop senti depuis le prodigieux succès.

Cette expédition fut aussitôt après suivie de la confirmation du roi par le cardinal de Rohan, et de sa première communion, qui lui fut administrée par le même cardinal, son grand aumônier.

Défait enfin du maréchal de Villeroy, le cardinal Dubois n’eut plus d’obstacle pour se faire déclarer premier ministre. Il crut même avec raison devoir profiter de l’étonnement et de la stupeur où cet événement avoit jeté toute la cour, la ville, et plus que tous le parlement, pour achever brusquement cet ouvrage également audacieux et odieux. Son pouvoir sur l’esprit de son maître étoit sans bornes, et il avoit pris soin de le faire connoître tel pour se rendre redoutable à tout le monde. Ce n’étoit pas que les affaires en allassent mieux. Tout languissoit, celles du dehors comme celles du